Comment choisissez-vous les sujets et l’importance que vous leur donnez ?
Vaste question. La règle de base est qu’un journaliste ne décide pas tout seul des articles qu’il écrit. Une rédaction comme celle du Monde édicte collectivement sa ligne éditoriale, c’est-à-dire un ensemble de règles qui façonnent le choix de ses sujets et la manière de les traiter. Dans de nombreux cas, le journaliste propose un projet d’article à sa chefferie de service, qui va le valider ou non. L’inverse existe également : les responsables du journal peuvent commander des papiers à des rédacteurs.
L’importance accordée aux différents sujets et la manière de les couvrir font par ailleurs l’objet de discussions au sein des conférences de rédaction, à l’intérieur des différents services du journal (politique, international, société, économie…).
Combien de temps et de personnes faut-il pour écrire un article ?
C’est très variable. Certains articles peuvent être écrits par une seule personne, en quelques heures. Par exemple, un envoyé spécial du Monde qui couvre un match de Coupe du monde de football s’efforce d’envoyer son article peu de temps après le coup de sifflet final. D’autres articles peuvent nécessiter du temps parce qu’il va falloir interroger de multiples sources, déchiffrer des documents, se déplacer… Cela peut aller de quelques jours à plusieurs mois de travail. De même, certains articles nécessitent un travail d’équipe, pour aller plus vite, ou croiser les expertises. Il peut donc y avoir deux, trois, quatre signatures sur un seul article, voire davantage.
Qui s’occupe de la relecture des articles ?
Il y a plusieurs niveaux de validation. Le premier est assuré par la hiérarchie directe du journaliste. Une fois l’article terminé, le rédacteur l’envoie à son chef ou sa cheffe de service, qui va en vérifier les informations, et s’assurer qu’il correspond aux standards éditoriaux du Monde. Si besoin, l’article est retravaillé plus ou moins largement, autant de fois que nécessaire. Certains articles, de par leur importance ou leur sensibilité, sont également relus par la direction du journal.
Cette étape passée, l’article est envoyé à l’édition pour être validé sur d’autres aspects. « Notre fonction est de prendre la suite de la relecture des chefferies, explique Anne-Cécile Nguyen-Thanh, éditrice à la rédaction numérique du Monde. Notre rôle, c’est de se mettre dans la peau du lecteur, en tentant de nous assurer que le texte soit contextualisé, compréhensible, précis et attractif. » Concrètement, avant de publier l’article, les éditeurs créent ou vérifient les « éléments de mise en scène » : illustration légendée, titre, chapeau, intertitres, liens hypertextes… Et ils passent en revue la forme et le fond, en chassant les formules partiales, les informations non vérifiées, etc.
Les articles sont ensuite relus par les correcteurs et correctrices, qui s’assurent également du respect des règles de syntaxe, orthographiques et typographiques. Ils ne sont pas forcément les derniers filets de sécurité de la chaîne de relecture, la direction de la rédaction et le pôle central de l’édition pouvant également s’emparer d’un article pour le relire avant publication.
Y a-t-il toujours une équipe de journalistes réveillés pendant la nuit pour rédiger des articles ?
La rédaction du Monde est organisée pour pouvoir couvrir l’actualité en temps réel vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Pour assurer cette continuité sans mettre en place une astreinte de nuit à Paris, un bureau a été créé à Los Angeles en 2016 pour prendre les commandes du site Internet chaque jour entre 23 heures et 7 heures (heure de Paris). L’équipe de neuf personnes a deux missions principales : assurer la continuité du suivi de l’actualité et réaliser un travail d’édition nocturne pour pouvoir publier les articles envoyés pendant la nuit.
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Il y a en effet des journalistes qui travaillent jour et nuit pour Le Monde. Il peut s’agir de nos correspondants internationaux, sur d’autres fuseaux horaires, mais aussi de rédacteurs qui couvrent des sujets à toute heure du jour, pour que vous puissiez lire le compte rendu d’une audience de justice qui s’est terminée tard, avoir les dernières nouvelles de l’Assemblée nationale (qui siège parfois aussi la nuit), etc.
Comment fonctionne un éditorial ? Qui le rédige ? Qui prend la décision de le faire ?
C’est l’un des principaux rendez-vous entre la rédaction et ses lecteurs. On le trouve en dernière page de chaque édition du journal imprimé et dans la rubrique Opinions du site Internet. L’éditorial du Monde exprime une analyse et apprécie un sujet donné (événement international, décision gouvernementale, fait de société…). Depuis 1944, les éditoriaux posent les valeurs et la sensibilité de la rédaction : défense des droits humains, refus du racisme et de la xénophobie, attachement à la démocratie représentative…
L’une des spécificités de l’exercice, tel qu’il est pratiqué dans ces colonnes, est qu’il n’est pas signé. Par manque de courage ? « Evidemment non, c’est tout le contraire, sourit Philippe Bernard, membre de l’équipe des éditorialistes au Monde. L’idée, c’est de refléter ce que pense la collectivité du journal, c’est un exercice spécial, très différent de la chronique, dans laquelle le signataire exprime sa subjectivité. » Seules les prises de parole du directeur du journal, lors d’événements particuliers, sont signées.
Le circuit copie de l’éditorial du Monde reflète cette collégialité. Tous les matins, les éditorialistes du journal échangent à 10 h 30, pour identifier une ou plusieurs pistes de sujets. Le choix de l’éditorial est ensuite discuté à la conférence de rédaction de midi, en présence des responsables des différents services du journal. Une fois rédigé, il est soumis pour validation à la direction de la rédaction.
Parfois, un événement s’impose, comme après la chute de Bachar Al-Assad, dans la nuit du 7 au 8 décembre. Quand ce n’est pas le cas, plusieurs éléments entrent en compte : sur quel sujet l’éditorial peut-il être pertinent ? Existe-t-il un consensus sur le sujet ? « Il y a un côté artisanal, explique Philippe Bernard. Parfois, on peut choisir d’attendre vingt-quatre heures de plus pour traiter un événement particulier, parce que l’on n’est pas dans l’information en continu, où il faudrait absolument réagir dans les deux heures qui suivent. »
Comment gardez-vous le moral face aux événements mondiaux, qui sont, dans la globalité, mauvais ?
Guerre en Ukraine, guerre Israël-Hamas, crise politique en France… Les crises nationales et internationales n’invitent pas à l’optimisme et pèsent lourd sur le quotidien des journalistes qui les couvrent. La rédaction numérique du Monde est au confluent de ces turbulences, avec souvent trois, quatre, voire cinq grands événements couverts en simultané dans des « lives ». Ce format permet de fournir en temps réel les dernières informations vérifiées par la rédaction à nos lecteurs, mais il est également exigeant – et parfois éprouvant.
« Nous sommes en quelque sorte au cœur de tout ce qui ne va pas dans le monde, tout le temps. Il y a quand même quelques actualités joyeuses, comme les Jeux olympiques, mais elles sont plus rares », résume Manon Rescan, rédactrice en chef adjointe au Monde.fr. Si ce climat est inhérent à la profession de journaliste, il nécessite, selon elle, une attention particulière au quotidien : « On est un collectif solidaire, on essaie de cultiver cela, de se parler. »
Cela passe aussi par la mise en place de respirations, pour donner la liberté aux journalistes de travailler sur des sujets moins anxiogènes, ou par la mise à disposition d’une psychologue du travail, qui peut être sollicitée, en particulier lors des séquences les plus éprouvantes. « Nous avons malgré tout la chance d’avoir un rôle à jouer face à ces actualités dramatiques, cela nous aide à les traverser », observe Manon Rescan.
L’intelligence artificielle affecte-t-elle votre métier ?
La multiplication depuis 2022 d’intelligences artificielles (IA) génératives grand public, capables de produire en un clin d’œil du texte, des photos ou des vidéos, vient bouleverser le monde des médias. « Le sujet de l’IA se pose à nous de plusieurs manières : comme un grand tournant technologique, comme un outil d’expérimentation et de bidouille… et puis c’est déjà une réalité au quotidien pour certains usages », explique Gabriel Coutagne, rédacteur en chef adjoint au Monde chargé de la diffusion de l’innovation.
On peut, par exemple, citer la traduction d’articles en anglais pour le site Le Monde in English, par le système de traduction DeepL. L’automatisation n’est que partielle : les traductions sont par la suite vérifiées, complétées et adaptées par des traducteurs professionnels et des journalistes anglophones du Monde. Mais elles permettent un précieux gain de temps. Dans un registre similaire, la version audio des articles de l’application du Monde.fr se fait avec le système de voix neuronale personnalisée de la plateforme Microsoft Azure. Le Monde a également signé, en mars, un accord avec OpenAI, qui permet à la société de s’appuyer sur les contenus du Monde pour établir et fiabiliser les réponses de ses outils.
Les promesses de l’IA doivent cependant s’accompagner d’une vigilance quant aux possibles écueils et dérives. « Sur la photo, par exemple, nous avons pris une posture très prudente, et nous nous interdisons plus généralement de publier des contenus éditoriaux créés par IA », explique Gabriel Coutagne. Ce souci s’est traduit par la rédaction d’une section spécifique à l’IA dans la Charte d’éthique et de déontologie du groupe Le Monde, ainsi que dans la publication de la liste des usages de l’IA générative par la rédaction du Monde.
Comment le journal survivrait-il financièrement sans les aides publiques ?
Notre rédaction bénéficie d’aides publiques, comme la plupart des médias français, mais elles ne sont pas centrales dans notre modèle économique. En 2023, Le Monde a reçu 2,3 millions d’euros de subventions : 0,8 million pour les aides à la distribution, 0,6 million pour les aides au portage, 0,1 million pour les aides à l’exportation et 0,7 million de subventions diverses du ministère de la culture. Cela représente au total un peu plus de 1 % du chiffre d’affaires total du journal sur l’année (176 millions d’euros en 2023). Les comptes du groupe sont publiés chaque année dans la rubrique « Le Monde & Vous ».
Comment réalisez-vous vos enquêtes vidéos ?
Nos collègues du service Vidéo ont concocté ce sujet dévoilant leurs coulisses :
Comment devenir journaliste au « Monde » ? Est-ce que vous prenez des stagiaires ?
La voie la plus courante pour entrer dans la rédaction est d’être diplômé d’une formation en journalisme, souvent d’une des quatorze écoles reconnues par la profession. C’est celle qui est privilégiée dans le recrutement de stagiaires et alternants. Cependant, d’autres profils existent également au sein de la rédaction : des reconversions professionnelles tardives, des journalistes qui ont eu de premières expériences dans d’autres rédactions, d’autres qui ont développé des compétences techniques ou des expertises particulières… Vous pouvez, si vous le souhaitez, soumettre vos CV et lettre de motivation au Monde à l’adresse suivante.
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- Entre Le Monde et le cinéma français, une histoire de critiques
- Le Monde et l’Europe, une histoire française
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- Comment Le Monde a couvert la question raciale aux Etats-Unis
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