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Histoires Web mercredi, novembre 20
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Livre. Au commencement, une collection. Imaginée par deux éditrices, Stéphanie Kalfon et Amélie Cordonnier, « Retour chez soi » propose à des écrivains de revenir dans un lieu quitté depuis longtemps, qu’ils retrouveraient le temps d’une nuit et d’une journée. Mazarine Pingeot est retournée au 11 Quai Branly, dans le 7ᵉ arrondissement de Paris, une dépendance de l’Elysée où la fille de François Mitterrand s’est installée avec sa mère, Anne, après l’élection de son père en 1981, de ses 9 à ses 16 ans.

Plutôt que Gordes (Vaucluse), où ses parents avaient une maison, l’Auvergne, d’où est originaire sa mère, les Landes ou la Nièvre, la professeure de philosophie et romancière a choisi « l’Alma », un « logement de passage où personne ne passait », à la fois « décor » et « tombeau » d’une adolescence cachée, au secret. Lieu de sa « disparition » (aux yeux du monde), c’est aussi celui des « retrouvailles », souvent heureuses, car dans ce grand appartement, dont elle déteste le papier peint, ils vivent enfin tous les trois, « jouant à faire comme si de rien n’était ».

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Son père est mort depuis trente ans. « Mazarine » a 50 ans. Pour ce projet littéraire périlleux, elle a obtenu une autorisation de l’Elysée ; l’occupant de l’appartement a accepté de lui laisser les clés. « J’ai peur d’y retourner », dit-elle d’emblée. Elle y arrive un jour de février, retrouve aussitôt « la lumière blafarde de l’enfance ». L’ancienne moquette beige n’est plus, la chaise longue Le Corbusier de son père a disparu. Elle se revoit dans l’entrée, jouant à l’élastique, peut encore sentir l’odeur de pain grillé dans la cuisine qui a été rénovée, perdant son « charme désuet ». Tout y est « plus chic, plus neuf », note-t-elle. La mémoire, douloureusement, se réveille. « Mais pour quoi faire ? », interroge Mazarine Pingeot.

« Désenclaver l’enfance »

Pour rendre cette adresse maudite « semblable aux autres », peut-être. Pour « désenclaver l’enfance » : en l’affrontant, se libérer de son emprise. Pour « faire exister ce qui a été privé de tout regard ». Quand, à l’issue de l’expérience, l’autrice ferme la porte de l’appartement, elle comprend qu’elle n’en était jamais partie. « Il n’est pas donné à tout le monde de recommencer les adieux quand la première fois ils ont été manqués. Je peux désormais quitter les lieux sans les fuir. » Puis : « Est-ce que j’existe maintenant ? »

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Autour de cette « maison des fantômes » revisitée, s’articulent des jeux de miroirs entre réel et littérature, histoire publique et destin privé, une difficulté à accepter que cette histoire, la sienne, est aussi un peu la nôtre. « Cet appartement existe dans des livres écrits par d’autres », dit celle qui redoute les regards, tout en les alimentant : par définition, elle écrit pour être lue. « Etre prisonnière d’une image publique et la combattre incessamment tout en s’y adossant était une histoire de famille », admet-elle.

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