Ce 3 octobre, Werner Herzog se trouve face à un double défi. Repousser les affres de l’âge : le réalisateur de 82 ans n’a presque pas dormi depuis onze jours, et doit de toute urgence avaler un expresso. Quand il réclame sa boisson au serveur d’un café parisien, son accent bavarois cisaille les trois syllabes du mot, avec cette voix rauque, brute de décoffrage, propice à susciter l’hilarité au point d’avoir attiré l’attention de Matt Groening, frappé par la dimension « cartoonesque » du timbre du réalisateur, et qui l’a utilisée depuis 2011 dans quatre épisodes des Simpsons.

Une fois le breuvage avalé, Werner Herzog peut se confronter à son second défi : apprécier le temps qui passe. Cela fait vingt-neuf ans, onze mois et vingt-neuf jours, nous explique-t-il, qu’il est en couple avec Lena, sa troisième épouse. En ce moment, il compte même les heures qui le séparent de la barrière symbolique des trente ans qui le propulsera dans une nouvelle dimension de son existence. Lena Herzog a grandi en Sibérie.

A 15 ans, elle recopiait à la main Le Maître et Marguerite, de Mikhaïl Boulgakov, à 16 ans Une journée d’Ivan Denissovitch, d’Alexandre Soljenitsyne, pour permettre à ces livres, interdits par la Russie communiste, de circuler sous le manteau. En 1990, celle qui est devenue photographe et artiste visuelle part étudier aux Etats-Unis.

Quand il la rencontre lors d’un dîner d’amis, à Berkeley, Herzog lui explique qu’il est cascadeur. Ce qu’il est, en quelque sorte, tant ses films et documentaires relèvent de la haute voltige, d’Aguirre, la colère de Dieu (1972) à Grizzly Man (2005), en passant par Fitzcarraldo (1982), chaque fois des tournages au long cours, au Pérou, au Brésil, en Amazonie ou en Alaska.

Tout ce qu’il raconte est vrai

Au bout d’un an de vie commune, Werner Herzog se décide à lui montrer Aguirre, son film le plus connu, où un conquistador espagnol, incarné par Klaus Kinski, descend l’un des affluents de l’Orénoque à la recherche de l’Eldorado. La compagne du metteur en scène est assise dans un cinéma de Californie du Sud, près de Los Angeles, où le couple vit encore aujourd’hui. Dans une salle de cinéma, Lena Herzog s’assied toujours au fond, dernière rangée, premier siège couloir, afin de s’enfuir au plus vite si le film ne lui plaît pas, soit la plupart du temps. « Heureusement, elle est restée », raconte le cinéaste avec des yeux pétillants.

Chacun pour soi et Dieu contre tous, les Mémoires du cinéaste et acteur – on l’a vu en 2019, dans la série Star Wars The Mandalorian –, publiés en 2022, bénéficient désormais d’une traduction française (Séguier). Ils nous rappellent que, parmi les grands films du metteur en scène, depuis qu’il s’est imposé, dans les années 1970, avec Wim Wenders et Rainer Werner Fassbinder, comme une figure de proue d’une nouvelle génération de réalisateurs allemands, la vie de Werner Herzog fait figure de chef-d’œuvre. « J’adore ce titre, Dieu contre tous, dit-il. Il est devenu le mot d’ordre de mon existence. Je l’ai emprunté au poète brésilien Mário de Andrade. »

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