Condamné à vingt-cinq ans de prison en Russie, Vladimir Kara-Mourza a été libéré, le 1er août, avec quinze autres prisonniers politiques, lors du plus grand échange avec l’Ouest depuis la fin de la guerre froide. De passage à Paris, il confie, dans un entretien au Monde, son projet d’unir les oppositions et de bâtir une « feuille de route » pour construire l’avenir d’une Russie démocratique.
Depuis votre libération le 1er août, vous avez rencontré le président américain, Joe Biden, le chancelier allemand, Olaf Scholz et le président français, Emmanuel Macron. Quel message vouliez-vous leur faire passer ?
J’ai aussi rencontré le président finlandais, Alexander Stubb. Pour tous, j’avais deux messages principaux. Le premier, très important pour moi, était de leur parler des prisonniers politiques dans les goulags de Poutine. Selon les estimations, ils sont plus de 1 300 en Russie et environ 2 000 en Biélorussie ; sans compter les prisonniers de guerre ukrainiens. Je ressens vis-à-vis d’eux une responsabilité morale chaque jour. Ce n’est pas seulement une question d’emprisonnement injuste, mais de vie ou de mort. A titre d’exemple, Alexeï Gorinov, élu municipal, et le premier condamné pour s’être opposé à la guerre en Ukraine, a plus de 60 ans, il lui manque un poumon et ses conditions de détention sont horribles. Il y a aussi Maria Kolesnikova, une opposante en Biélorussie dont on ne sait pas si elle est encore vivante. On ne peut pas se permettre que l’échange du 1er août, qui a sauvé seize vies, dont la mienne, reste unique.
Et le deuxième message ?
Il faut penser à l’avenir. Les grands changements politiques dans notre pays ont lieu d’un coup, que ce soit la fin de l’empire Romanov ou celui de l’empire soviétique. Or, il est très important de ne pas répéter les erreurs des années 1990, durant lesquelles il n’y a pas eu de réelle rupture avec le passé communiste, pas de responsabilités établies, pas de coupables. Quand le régime de Poutine va prendre fin, et il va prendre fin, il faudra ouvrir les archives, être prêt à juger tous les responsables des crimes commis en Ukraine mais aussi contre le peuple russe, des assassinats de Boris Nemtsov [opposant assassiné en 2015] et d’Alexeï Navalny [mort en détention en février].
Dans les années 1990, les pays démocratiques n’étaient pas vraiment prêts à accueillir une Russie libre et démocratique comme cela s’était fait avec les pays de l’ex-bloc soviétique. Il y a eu des choses symboliques comme l’adhésion au Conseil de l’Europe, mais c’est tout. Nous devons réfléchir à une feuille de route pour intégrer la Russie de l’après Poutine dans la communauté internationale. Si l’Europe veut vivre unie en paix, elle le sera avec une Russie libre et démocratique.
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