La Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg (France), en septembre 2019.

La France a été condamnée, jeudi 4 septembre, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour les « lacunes » de son cadre juridique relatif au consentement et les « défaillances » de l’enquête sur un pharmacien accusé d’avoir imposé à une collègue une relation sadomasochiste.

Dans un arrêt rendu jeudi, la cour considère que la France « a manqué à ses obligations positives, qui lui imposaient d’instaurer des dispositions incriminant et réprimant les actes sexuels non consentis et de les appliquer de façon effective » et dit qu’il y a eu violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, touchant à l’interdiction de la torture et au droit au respect de la vie privée. La France devra verser à la requérante, E. A., 20 000 euros au titre du dommage moral et un peu plus de 1 500 euros pour ses frais de justice.

Dans cette affaire, E. A. (identifiée par ses initiales pour préserver son anonymat), née en 1983, était préparatrice en pharmacie à l’hôpital de Briey (Meurthe-et-Moselle) en 2010 quand elle a entamé une relation sadomasochiste avec un chef de service, K. B., né en 1967. Elle a porté plainte en 2013 pour « viol avec torture et actes de barbarie par une personne abusant de son autorité », « violences physiques et psychologiques » et « harcèlement et agression sexuels ».

Mais le prévenu, condamné en première instance pour violences volontaires et harcèlement sexuel, a été totalement relaxé en 2021 par la cour d’appel de Nancy, les juges estimant que comme les deux protagonistes avaient signé un « contrat maître-chienne » régissant leur relation, celle-ci était consentie. Ayant épuisé les voies de recours en France, la plaignante a saisi la CEDH.

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Celle-ci lui a donné raison, montrant du doigt les « lacunes du cadre juridique » ainsi que « des défaillances rencontrées lors de sa mise en œuvre », citant « l’exclusion des atteintes sexuelles dénoncées par E. A. du cadre de l’enquête », le « caractère parcellaire des investigations », « la durée excessive de la procédure » et les « conditions dans lesquelles le consentement d’E. A. a été apprécié par les juridictions ».

La cour réaffirme dans cet arrêt que « le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances ». « Dès lors, aucune forme d’engagement passé – y compris sous la forme d’un contrat écrit – n’est susceptible de caractériser un consentement actuel à une pratique sexuelle déterminée, le consentement étant par nature révocable », souligne la cour.

La cour a donné raison aux avocates de la requérante qui réclamaient que la France soit condamnée pour la « victimisation secondaire » de leur cliente, c’est-à-dire le fait de s’être sentie traitée elle-même comme fautive, du fait de questions déplacées ou de remarques culpabilisantes lors de la procédure.

En opposant à E. A. la signature d’un contrat passé avec son supérieur, « la cour d’appel de Nancy l’a exposée à une forme de victimisation secondaire, un tel raisonnement étant à la fois culpabilisant, stigmatisant et de nature à dissuader les victimes de violences sexuelles de faire valoir leurs droits devant les tribunaux », tacle la CEDH.

« Ce qui est en jeu, c’est la définition du viol »

L’audience en appel « est décrite par l’avocate mais aussi par mes collègues comme cauchemardesque », témoigne Nina Bonhomme Janotto, juriste à l’Association européenne contre les violentes faites aux femmes au travail (AVFT), partie civile dans l’affaire. « C’était une mise au pilori », insiste-t-elle.

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Contactée par l’Agence France-Presse avant que la CEDH rende son arrêt, l’avocate de la plaignante, Marjolaine Vignola, estimait qu’une condamnation de la France aurait vocation à « motiver le gouvernement français à rendre effective une loi qui soit plus protectrice des femmes » et à pousser les juges à « améliorer leur interprétation de la loi ». « Ce qui est profondément en jeu dans cette décision de la CEDH, c’est la définition du viol », selon Nina Bonhomme Janotto.

En droit français, le viol est défini comme une pénétration imposée par « violence, contrainte, menace ou surprise ». Une proposition de loi en cours d’examen au Parlement vise à modifier cette formulation, définissant le viol comme « tout acte sexuel non consenti » et le consentement comme « libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». De cette façon, comme c’est déjà le cas en Espagne et en Suède, ce ne serait plus aux victimes de prouver la contrainte mais aux mis en cause de démontrer que le rapport était consenti.

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Le Monde avec AFP

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