A l’heure du déjeuner, mercredi 1er octobre, le soleil automnal aimante les promeneurs vers le jardin des Tuileries à Paris. Mais il n’explique pas la foule compacte contenue par des vigiles qui tentent de garder un chemin libre à travers l’allée centrale.
Cette ébullition est due à la fashion week printemps-été 2026 de Paris, et plus précisément au défilé Dior. Parmi les 74 shows de la saison, il fait partie avec Chanel des plus attendus. Après des années d’inertie, chacune des deux maisons parisiennes a fait appel à un jeune designer pour se requinquer. La mission incombe au Britannique Jonathan Anderson chez Dior et au Franco-Belge Matthieu Blazy chez Chanel. Tous deux nés en 1984, ils ont par le passé brillé dans des maisons très axées sur l’artisanat, respectivement Loewe et Bottega Veneta.
La coutume veut que le défilé Dior soit toujours au début de la semaine de la mode et celui de Chanel à la fin. C’est donc Jonathan Anderson qui se lance en premier. Comme sa prédécesseure Maria Grazia Chiuri, son show a lieu dans une immense tente rectangulaire dressée dans le jardin des Tuileries. Malgré ses dimensions, la jauge d’invités a été réduite de 1 200 à 800 personnes environ. Un geste qui correspond à la volonté de la plupart des maisons depuis quelques saisons d’être plus exclusives, de faire de plus petits événements (mais avec toujours plus de monde devant).
Le nombre de sièges est aussi limité par le décor, une pyramide inversée suspendue au plafond. Après que Bernard Arnault (le PDG de LVMH à qui appartient Dior) a fini de discuter avec Johnny Depp, après que Carla Bruni s’est entretenue avec Brigitte Macron, on découvre que le tétraèdre sert d’écran multifaces sur lequel est diffusé un clip réalisé par le documentariste britannique Adam Curtis, connu pour ses positions tranchées contre l’Empire britannique, l’ère Thatcher ou pour son travail critique sur les élites.
Pas de commentaire social dans sa vidéo pour Dior, où il compile à un rythme effréné des images d’archives de la maison, toutes époques confondues : les essayages de M. Dior, mais aussi John Galliano venant saluer déguisé en cosmonaute, la famille Arnault au premier rang, la cohue devant les défilés. Avec, au milieu, des extraits de films anciens, parfois d’épouvante. Ce collage réussi transcrit bien la pression que représente pour Jonathan Anderson d’avoir la charge de cette marque historique. « Une maison géniale, capable de brûler entièrement et renaître de ses cendres », comme le résume l’intéressé, qui admet « n’avoir jamais été aussi sous pression que maintenant ».
Une robe boule en mousseline rose tendre
A première vue, la collection ressemble beaucoup à ce qu’il faisait chez Loewe, en particulier son travail sur les volumes et les proportions, destiné à rendre les silhouettes intrigantes plus que jolies. Il l’applique à des classiques de la maison, par exemple au tailleur Bar, créé par Christian Dior en 1947 : il évase la veste, dont les pans semblent soulevés par un courant d’air, et raccourcit la jupe, qui se dresse à 45 degrés au-dessus des fesses. La robe bustier Junon de 1949, dont la longue jupe imitant la forme d’une fleur était initialement composée d’une vingtaine de larges pétales, devient plus courte, gonflée vers l’avant au niveau du bassin, et composée de centaines de minuscules pétales.
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Jonathan Anderson est conscient des enjeux (comme l’a montré son film introductif) et s’applique à respecter les codes de la maison, notamment le goût des fleurs de M. Dior. Elles se retrouvent sous forme d’imprimés sur de simples blouses en soie « gris Dior », brodées sur une robe boule en mousseline rose tendre. Multipliées à l’infini sur une robe souple aux découpes géométriques, elles évoquent la silhouette « Miss Dior » de 1949 – et le parfum best-seller tout ce qu’il y a de plus actuel du même nom.
Il prévoit aussi des silhouettes plus simples, souvent transposées de sa collection masculine présentée en juin : une chemise en twill de soie à col lavallière, une minijupe en denim, une cape en maille fermée par un ruban. « On veut de la mode, mais, en même temps, il faut que ce soit commercial. Je pense que la manière de résoudre cet antagonisme, c’est d’avoir des idées, ne pas trop se soucier de si elles sont bonnes ou mauvaises, mais de les travailler », analyse Jonathan Anderson.
Ses looks les plus réussis sont ceux qui créent un pont entre le charme inhérent à Dior et la conceptualisation qui lui est chère : une blouse en soie noire incrustée d’une longue écharpe ivoire, portée avec une mini kaki lestée d’une courte traîne, ça marche. C’est flatteur et décalé, comme les tenues présentées dans l’actuelle campagne publicitaire pour le sac Lady Dior, où l’actrice Greta Lee arbore un polo de rugby sous son tailleur en tweed gris. Mais les pièces trop loin du corps, qui créent des protubérances là où les femmes n’en veulent pas (les hanches, les cuisses), sont déconnectées de l’ADN de la marque et du désir des consommatrices. Cette première collection pose des bases intéressantes, mais ne dessine pas encore clairement le nouveau Dior.
Jonathan Anderson a raison de dire que la maison peut entièrement se réinventer. Et on attend de lui qu’il apporte des idées neuves et enrichisse ainsi le patrimoine. Mais trouver le ton juste est un processus qui prend du temps. « Tous les designers qui ont repris cette maison ont été critiqués, pointe le Britannique. Quand Yves Saint Laurent est arrivé, les gens étaient horrifiés. Pareil pour John [Galliano]. » Et pour Maria Grazia Chiuri. Autant de créateurs qui ont, par la suite et dans des genres très différents, fait la démonstration de leur talent.