« Hey, mais c’est la même affluence qu’à la cantine à midi trente ici ! », s’exclame Michaël, un collègue (le prénom n’a pas été modifié). La même affluence, et surtout, la même cohue infernale qu’au stand frites.
Ici un crabe engoncé dans son kart joue des coudes (?!) en balançant des peaux de banane, là un Mario géant en chemise hawaïenne écrase nonchalamment ses adversaires, tandis qu’un bébé Luigi en costume de chantier pose une bombe devant un quarterback monté sur une abeille à roulettes, le tout pendant qu’une vache dans son nuage multiplie les pirouettes de skater sur une voie ferrée.
Mario Kart World, sorti le 5 juin sur la nouvelle Switch 2 de Nintendo, est plus que jamais cette métaphore géante de la vie en société, avec sa concurrence pour les ressources et l’infatigable vigilance du karma, cette sorte d’impôt sur la vacherie que l’on finit toujours par payer avec les intérêts. Pas de doute : nous sommes bien à la cantine à midi trente.
Pandémonium à roulettes
Bref, souffrez les colères des dieux, les vengeances bananières, les pluies d’éclairs, les outrages au talent, Mario Kart est de retour. Comme depuis le premier épisode, en 1992, les aventures à roulettes de Mario réservent (parfois) de divins miracles, comme une victoire inespérée acquise sur un enchaînement de circonstances favorables, tout comme il assure (souvent) le sentiment désagréable d’être maudit, harcelé ou poissard – ou les trois en même temps.
Sauf que cette fois, ce n’est plus huit, ni douze, mais vingt-quatre pilotes aux dents longues qui s’y bousculent, donnant au tohu-bohu habituel des airs de Pandémonium à roulettes. Si le périphérique parisien à 19 heures vous semblait encombré, imaginez-vous y être entouré d’une vingtaine d’automobilistes surcaféinés qui, de concert, vous rentreraient dedans la bave aux lèvres et le pare-chocs bardé d’armes par destination.
Il faut vite apprendre à apprécier l’idée de déguster cinq projectiles d’affilée (généralement des carapaces de tortue) entre deux explosions. « Les emmerdes (…), ça vole toujours en escadrille », disait Jacques Chirac, dont on a trop sous-estimé le talent de commentateur de Mario Kart.
Monotonie du macadam
Autre nouveauté, les pilotes ne s’affrontent plus sur des circuits fermés indépendants les uns des autres, mais sur des langues de macadam, qui prennent parfois la forme de chemins enneigés ou de routes aquatiques houleuses, au milieu d’un vaste monde ouvert.
Dans un exercice de style étonnant, Nintendo s’est en effet échiné à répondre à cette question que personne, jamais, ne s’était posée : si le stade Wario, la prairie Meuh Meuh et la montagne Choco appartiennent au même pays, à quoi ressemble la départementale qui les relie ? (Autres questions existentielles que pose Mario Kart World : comment fait un cactus pour tourner le volant ? et un dauphin pour appuyer sur l’accélérateur ?)
Chaque course n’est plus une immersion dans un concentré d’atmosphère exotique, mais la lente hypnose d’un dégradé allant d’une ambiance à une autre. « Hey, mais en fait c’est un trajet Waze », maugrée Michaël.
Suivez-nous sur WhatsApp
Restez informés
Retrouvez la sélection de la rédaction sur notre chaîne
Rejoindre
Lors des premières heures, il évoque l’un des circuits les plus fades de la série, l’autoroute Toad, un ovale sans passion, avec du trafic automobile comme seule faible animation. Parfois, on jurerait avoir entendu à l’arrière : « dis papa, c’est quand qu’on arrive ? », malgré tout le zèle que mettent les T-rex, les boulets de canon géants ou encore les troupeaux de zèbre à rompre la monotonie des lignes droites.
Et soudain le vertige d’un grand huit
Et puis arrive la mer, ou plutôt la plage Peach, ou mieux, l’inévitable château de Bowser, et soudain la magie d’un circuit à l’ancienne s’arrache à la plaine, avec ses rampes, ses contreforts et ses tours autour desquels la piste s’élève et virevolte, dans une vertigineuse gerbe de rubans d’asphalte. Mario Kart World est un Disneyland en petite cylindrée, capable de rendre la calme platitude des allées comme l’exaltation et l’apesanteur des meilleures montagnes russes.

D’autant que lorsque Mario Kart World propose des courses inédites, ce qu’il fait dans un tracé sur deux, il atteint parfois des sommets d’inventivité. Le spatioport Kong, géniale immersion dans les charpentes obliques du Donkey Kong de 1980 ; le cinéma Boo, théâtre hanté ayant pour piste une pellicule de film d’épouvante des années 1930 ; ou encore l’inévitable Rainbow Road, envolée féerique vertigineuse de plusieurs minutes, s’imposent parmi les circuits les plus marquants de la série.
Et même quand le jeu s’affaire à dépoussiérer l’ancien, il le fait avec un savoir-faire évident, et un goût du clin d’œil qui ravira les amateurs de mariobrosseries. Album de reprises, il se fait ainsi tantôt remix, comme sur la plage Koopa du Super Mario Kart de 1992, devenue une parodie d’Ibiza où la tortue DJette remixe sa samba d’antan ; tantôt il se fait medley, comme sur ces pistes vintage Mario Circuit 1, 2 et 3, réunies en un tracé unique dont chaque virage convoque la nostalgie.
Christian Prudhomme du royaume Champignon
A force d’errer sur les autoroutes du royaume Champignon, on finit par se prendre d’affection pour ce monde atypique, qui de prime abord a des airs de carapace vide, mais réserve à l’usage son lot de chemins dérobés, de rebords bondissants et de possibilités inattendues.
Plus que dans le mode Grand Prix, succession de quatre courses, c’est dans les modes Survie, course à élimination à travers plusieurs régions successives, sans halte, et Course VS, coffre à jouets entièrement réglable, que l’on apprend à dompter ce bac à sable. Mario Kart World attend de nous d’être un Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France, et de penser ses hauts lieux comme des étapes, avec la liberté d’en choisir le point de départ et d’arrivée : à partir de 32 circuits, c’est près de deux cents itinéraires qui sont possibles.
Il y aura ainsi les inévitables étapes de plaine, forcément un peu plates, mais aussi des sommets. L’attente pour atteindre ces derniers est longue, mais ils en valent l’effort. La Rainbow Road, c’est le col du Galibier, mais en mieux, sous champignon.
En bref
On a aimé :
- Une efficacité indéniable pour animer les soirées ;
- Un monde à la carte rempli de tracés possibles ;
- Quelques circuits mémorables ;
- Des personnages irrésistibles, comme la vache.
On n’a pas aimé :
- Le manque de coupes, de modes bataille, et l’absence de mode 200cc pour l’instant ;
- Parfois une impression de lenteur et de monotonie ;
- Un monde ouvert mignon, mais sous-exploité.
C’est plutôt pour vous si…
- Vous êtes un féru de l’univers Mario ;
- Vous vous demandiez quelle départementale relie Alpes DK à Cité Sorbet ;
- Vous aimez rouler sans rien faire.
Ce n’est plutôt pas pour vous si…
- Vous recherchez de la vitesse ;
- Vous attendiez un jeu aussi riche et complet que Mario Kart 8 Deluxe.
La note de Pixels
La cantine à midi trente/la cantine à midi quarante