N’en déplaise aux Etats-Unis, le multilatéralisme n’est pas mort. C’est en tout cas le message qu’a tenté de faire passer la présidence sud-africaine du G20 en ouverture du premier grand rendez-vous de ce forum annuel, qui a rassemblé les ministres des affaires étrangères des plus grandes économies du monde, jeudi 20 et vendredi 21 février, à Johannesburg. Une volonté appuyée par de nombreuses nations, en dépit de l’absence remarquée du secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio.

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L’Afrique du Sud a endossé la présidence du G20 en décembre 2024, devenant le premier pays du continent africain à tenir ce rôle. Une étape historique, que Pretoria espérait saisir pour mettre à l’honneur les priorités du continent et plus généralement celles des pays en développement. Un agenda résumé en trois mots : « Solidarité, égalité, durabilité. »

« En d’autres termes, DEI [les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion] et le changement climatique », s’était agacé Marco Rubio, le 6 février, avant d’annoncer qu’il ne se rendrait pas au sommet. Réduisant les mots d’ordre de la présidence sud-africaine à deux thèmes désormais honnis de l’administration américaine, le secrétaire d’Etat a ajouté qu’il n’entendait pas « dorloter l’antiaméricanisme ».

Pretoria temporise

Face à cette nouvelle attaque de l’administration Trump qui a mis fin aux aides américaines à destination de l’Afrique du Sud à qui elle reproche notamment sa plainte contre Israël auprès de la Cour internationale de justice ainsi que sa politique foncière, le pays hôte du G20 s’est efforcé de temporiser. « Ce n’est pas un boycott », a insisté le président sud-africain Cyril Ramaphosa au cours d’une conférence de presse, rappelant que les Etats-Unis étaient représentés par leur chargée d’affaires en Afrique du Sud, Dana Brown, qui assure le rôle d’ambassadrice par intérim depuis la démission de Reuben Brigety en novembre 2024.

Pour autant, le constat est là : le désengagement manifeste de l’une des nations les plus puissantes du forum ne peut que nuire à la portée globale du rassemblement, ne serait-ce que parce qu’elle focalise l’attention des médias, éclipsant par là l’agenda de la présidence sud-africaine.

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L’absence du secrétaire au Trésor américain, Scott Bennett, à la rencontre des ministres des finances du G20, prévue les 26 et 27 février au Cap, pourrait heurter la capacité du forum économique à adopter des mesures significatives. Alors que la rencontre des ministres des affaires étrangères est traditionnellement un théâtre ouvert où chacun expose ses positions géopolitiques, celle des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales est un forum technique où s’élaborent des mécanismes de collaboration financière concrets.

« La Chine voit l’espace laissé par les Etats-Unis »

Mais avec ou sans les Etats-Unis, « le G20 est lancé », a martelé Cyril Ramaphosa, assurant que le train n’avait pas « déraillé ». Alors que se pose désormais la question de savoir si Donald Trump participera au sommet des chefs d’Etat en novembre prochain, le président sud-africain a déminé le terrain en soulignant que l’absence de certains dirigeants n’était « pas la fin du monde, du moment que la famille du G20 est capable de se rencontrer, de discuter de problèmes importants et de parvenir à une déclaration ».

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Prenant le contre-pied des Etats-Unis, de nombreuses puissances comme la Chine, la Russie, l’Inde, l’Union européenne ou encore l’Arabie saoudite ont exprimé leur soutien au G20 sud-africain. « S’il était venu, Marco Rubio aurait rencontré presque tous ses homologues parce que nous avons eu un très bon niveau de participation des ministres. Cela envoie le signal d’un moindre intérêt de la part des Etats-Unis pour les affaires mondiales, et je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne idée pour les Etats-Unis eux-mêmes, car cela laisse la place aux autres », a souligné Espen Barth Eide, le ministre des affaires étrangères norvégien.

« La nature a horreur du vide et le monde n’est pas figé », analyse un diplomate européen, qui ajoute : « La Chine voit l’espace laissé par les Etats-Unis et, dans la continuité de son discours à Munich, a prôné le multilatéralisme ».

Réinventer des alliances

La France, par la voix de son ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot, a quant à elle tenté de dessiner les contours d’un nouvel ordre mondial en appelant à abandonner une typologie Nord-Sud devenue selon lui obsolète : « la fragmentation du monde ne se fait pas le long de lignes géographiques. Elle se fait entre les partisans de la force brutale d’un côté, et les partisans du droit international de l’autre ».

Tentant de réinventer ou de renforcer des alliances au-delà de l’Occident, les nations européennes ont ainsi multiplié les rencontres bilatérales avec le Mexique, le Nigeria, l’Afrique du Sud, Singapour, l’Inde ou encore le Brésil.

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« Ce ne sont pas des petits pays, si on pense au Mexique, au Brésil, à l’Indonésie, à l’Inde, à la Turquie… Il s’agit d’un ensemble assez impressionnant de pays de niveau intermédiaire avec des ambitions, des idées, une influence et des enjeux majeurs dans l’économie mondiale. Ils ont tous une vision un peu différente des choses, mais, pris ensemble, ils ont une vraie présence. Et ce type de multilatéralisme pourrait aussi faire partie de l’avenir », analyse l’ancien diplomate américain et éditorialiste associé au média d’investigation sud-africain Daily Maverick, Brooks Spector.

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En réduisant leur vision du monde à la poursuite exclusive de leurs seuls intérêts, les Etats-Unis risquent, estime l’ancien diplomate, de se heurter à un mur : « Certains soulignent que les Américains ne peuvent pas prendre des décisions en oblitérant la réalité du monde et de ses problèmes. Si c’est vrai, la mission des participants européens au G20 est de trouver comment se comporter de manière suffisamment unifiée pour rouvrir le dialogue avec les Etats-Unis sur les questions les plus importantes pour eux ».

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« Les liens entre l’Europe et les Etats-Unis ne vont pas se dissoudre du jour au lendemain mais on pourrait voir l’Europe se tourner davantage vers l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique latine pour bâtir une alternative à la relation transatlantique qui est sous pression », analyse Steven Gruzd, en charge du programme Gouvernance et diplomatie africaine au sein du South African Institute of International Affairs, un think tank sud-africain.

Comme d’autres observateurs, il estime que le G20, même affaibli par l’apparent désengagement américain, reste un forum « pertinent » dont le principal mérite est d’asseoir à la même table les représentants du « Sud global » et du « Nord Global ». Ce désengagement des Etats-Unis se confirmera-t-il alors que le pays est appelé à prendre la présidence du forum en 2026 ? Donald Trump sera présent à la réunion des chefs d’Etats en novembre prochain, est convaincu Brooks Spector. « Je crois qu’il ne pourra pas résister à l’attrait de la lumière au moment du passage de témoin. Quelle sera sa position ? C’est une autre histoire », analyse-t-il.

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