Quand des anthropologues du XXIIe siècle retrouveront des images des années 2020, ils essaieront peut-être de comprendre pourquoi, alors que notre espèce promenait ses bébés dans de petits engins montés sur roue, les pères semblaient n’avoir besoin que d’une patte pour pousser le chariot à enfant, là où les mères en utilisaient généralement deux. Ils se demanderont si c’est une question de morphologie, de centre de gravité ou de taille des mains, qui voudrait que l’une d’elles placée avec fermeté au centre suffise à faire gouvernail. Sauf que le phénomène s’observe aussi sur les poussettes dites « cannes », qui n’ont pas de barre centrale.

Peut-être que les hommes, disposant moins souvent que les femmes d’un sac à main, tiennent leurs affaires dans celle qui n’est pas sur l’engin. Mais les « monopousseurs » accrochent également leur sac à la poussette. Peut-être ont-ils besoin d’une main libre pour tenir une cigarette, un téléphone ou la garder dans la poche. Mais les femmes aussi fument, téléphonent ou ont froid aux mains. Il est encore possible que ce « monopoussing » soit destiné à susciter l’envie de leurs pairs, en affichant l’acquisition d’un modèle exceptionnellement manœuvrable, voire équipé d’une direction assistée.

On les soupçonne également, avec cette conduite à une seule main, de prendre un peu de distance avec leur paternité, manière de dire, en poussant leur enfant du bout de trois doigts, d’un air détaché, « je suis père mais pas seulement, la preuve, ma main gauche continue à vivre sa vie indépendante… » Qui sait s’il ne s’agit pas aussi, en limitant le contact avec les poignées, de souligner qu’on prend ses responsabilités sans verser dans l’hyper-parentalité : investi certes, mais à saine distance émotionnelle. La monopoussée permet d’ailleurs au pousseur d’adopter une position latérale : je ne suis pas derrière mon enfant, nous avançons côte à côte.

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A quoi on les reconnaît

A 8 ans, ils faisaient du vélo d’une main et leur corps en a gardé la mémoire dès qu’ils se retrouvent avec un objet à pousser. A la cafétéria du restaurant universitaire, hier, et de l’entreprise, aujourd’hui, ils portent leur plateau d’une seule main. Tout comme au jardin, où ils tondent la pelouse d’une seule main. Mais c’est avec les genoux qu’ils préfèrent conduire leur voiture.

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