En 1984, il y a donc quarante ans, Sophie Ristelhueber photographie en noir et blanc Beyrouth détruite par la guerre et en fait un petit livre, refusant toute grandiloquence. Depuis, elle s’est rendue en Irak, en Bosnie, en Arménie, en Palestine. Elle y a saisi des images – des paysages le plus souvent, qui ne semblent paisibles que tant que l’on n’a pas compris que la broussaille pousse sur un charnier ou que les rochers éboulés ont été placés là par des colons pour empêcher des paysans d’accéder à leurs champs. D’autres sont plus explicites, palmiers sectionnés, cratères de bombe. Elle a aussi photographié des cicatrices à fleur de peau, traces de blessures ou de maladies. Cette œuvre, l’une des plus importantes de la photographie contemporaine, elle la montre aujourd’hui d’une façon que personne n’avait osée. Le titre est une première provocation, What the Fuck ! : « c’est quoi ce bordel ! » Ce bordel mortel, c’est notre monde, comme le souligne l’accrochage, si l’on peut employer ce terme. La plupart des tirages sont posés au sol contre les murs, superposés les uns aux autres, de sorte que l’on n’en voit parfois qu’une petite partie. Ristelhueber fait ainsi éprouver physiquement et jusqu’au trouble combien s’accumulent sans cesse des souffrances et, simultanément, comment une actualité tragique plus récente recouvre la précédente, vite menacée par l’oubli. Il n’est pas fortuit que, parmi les rares œuvres entièrement visibles, se trouvent, d’une part, l’image, terrible dans son silence, des traces d’un plissement géologique qui écrasa et renversa des couches rocheuses et, d’autre part, celles, inattendues et furtives, d’un sanglier, d’un singe ou d’un mouton. Eux seuls sont innocents.
« What the Fuck ! ». Galerie Poggi, 135, rue Saint-Martin, Paris 4e. Jusqu’au 12 janvier 2025. Du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures. Galeriepoggi.com