La fin du dépistage massif et la disparition du décompte du nombre de cas et d’hospitalisations crée un flou autour de la circulation du virus. Pour la surveiller, seuls subsistent quelques indicateurs imparfaits et parfois contradictoires.
C’est la petite musique de la rentrée : un ami positif par-ci, un collègue masqué par là, un ministre qui reporte un déplacement pour s’isoler… Le Covid-19, après s’être fait oublier par beaucoup, est de retour dans le quotidien de certains d’entre nous. “On a une épidémie qui reprend, lentement et à faible intensité”, sans nécessiter de nouvelles mesures, expliquait le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, la semaine dernière sur RTL. Vendredi 15 septembre, face à la hausse de la circulation du virus, il a finalement décidé de changer de braquet, en avançant de deux semaines la prochaine campagne de vaccination, qui débutera donc le 2 octobre.
A chacun de décider du niveau de précautions qu’il veut adopter dans sa vie quotidienne. Mais si vous voulez retrouver le vieux réflexe d’observer la courbe des cas positifs ou celle des hospitalisations, et vous faire votre propre idée de la situation, c’est trop tard : elles n’existent plus. Depuis cet été, la collecte de la plupart des données liées au virus a pris fin. Des indicateurs existent encore, mais l’image qu’ils donnent de l’épidémie est devenue floue.
La fin des statistiques sur les tests de dépistage
Depuis le 1er juillet au matin, le site du Si-Dep affiche ainsi un message d’erreur accompagné d’une croix sur fond rouge. Peu connu du grand public, cet acronyme désignait la base de données nourrie par les résultats des tests de dépistage du Sars-CoV-2, dont le contenu était aisément accessible en ligne et alimentait les nombreux tableaux de bord de la situation sanitaire (c’est aussi là qu’apparaissaient les certificats après les tests). Elle n’est plus mise à jour.
Son sort était scellé depuis l’été 2022 et l’adoption d’une loi mettant fin aux mesures d’exception prises pour lutter contre l’épidémie, qui avait fixé la date d’expiration de ce fichier au 30 juin 2023. Son utilité comme thermomètre de la circulation du virus avait déjà été mise à mal en raison d’“une moindre incitation au dépistage”, relève l’épidémiologiste Mircea Sofonea. D’autant que les tests antigéniques et PCR ne sont plus remboursés intégralement depuis le 1er mars, sauf pour quelques catégories à risque ou très exposées. Un nouveau logiciel, Néo-Sidep, permet de faire remonter les résultats des tests en laboratoire, mais plus ceux des pharmacies. Et vous ne verrez pas la couleur de ces chiffres, qui ne sont pas mis en ligne.
A l’hôpital, seuls les motifs de passage aux urgences sont collectés
On ne dispose plus non plus des données hospitalières, qu’il s’agisse du nombre d’hospitalisations de personnes positives, des entrées en soins intensifs ou des décès liés au virus dans les établissements. Bien qu’aucune loi ne l’impose, leur publication a également pris fin le 30 juin – le personnel hospitalier n’avait déjà plus l’obligation de faire remonter les cas depuis le printemps. Renoncer à ce maillage très étroit est “normal”, reconnaît Mircea Sofonea, dont le travail statistique dépend pourtant des données. L’intensité du dépistage et de la remontée des cas “demandait beaucoup d’argent, et d’énergie de la part des équipes”, en particulier à l’hôpital public, déjà sous pression. Il “était nécessaire d’évoluer vers un système qui ressemble à la surveillance des autres virus respiratoires” comme la grippe, estime de son côté Yves Buisson, épidémiologiste chargé du suivi du Covid-19 au sein de l’Académie de médecine.
Sur quelles bases peut-on alors affirmer aujourd’hui, comme le ministre de la Santé, que l’épidémie “reprend lentement et à faible intensité” ? Les indicateurs sont issus de données que l’on collectait déjà avant la pandémie. A l’hôpital, ce sont les motifs de passage aux urgences, collectés par le réseau Oscour, et qui font l’objet d’un bulletin hebdomadaire de Santé publique France. Dans le bulletin publié le 12 septembre, il est ainsi précisé que les passages “pour suspicion de Covid-19” ont enregistré une hausse de 30% la semaine du 4 au 10 septembre, par rapport à la semaine précédente. Soit 3 651 personnes qui ont consulté les urgences hospitalières pour ce motif, un niveau qui n’avait plus été atteint depuis la toute fin de 2022, mais très inférieur aux pics épidémiques.
“La remontée [des informations] n’est pas systématique”, prévient Mircea Sofonea, qui rappelle le contexte “difficile” de nombreux services d’urgences, où la collecte minutieuse de données n’est pas la priorité. Surtout, ces chiffres n’informent pas sur l’évolution des malades une fois aux urgences. On sait quel pourcentage d’entre eux est finalement hospitalisé (33%), mais pas la gravité de leur situation. “Il nous manque l’histoire en aval, et celle en amont”, regrette le statisticien.
Trois sources et trois images différentes de l’épidémie
Pour une image plus large de la transmission du virus, il faut garder des capteurs hors de l’hôpital. Chaque semaine, Santé publique France publie des données liées au recours à SOS Médecins, le réseau de visites médicales à domicile. Entre le 4 et le 10 septembre, 4 067 passages étaient liés au Covid-19, soit 17% de plus que la semaine précédente, avance le bulletin mis en ligne lundi. Parallèlement, le réseau Sentinelles suit aussi le Covid-19 dans le cadre de sa veille sur de nombreuses infections virales. A partir des observations de 560 généralistes et pédiatres, des statisticiens estiment un taux d’incidence dans toute la population. Entre le 4 et le 10 septembre, il était évalué à 82 cas pour 100 000 habitants, ce qui représenterait près de 55 000 nouveaux cas dans tout le pays (+55%), un niveau digne des pics les plus importants de 2022.
“Il faut comprendre qu’on a une différence de qualité” entre ces données, explique Mircea Sofonea. Le réseau SOS Médecins couvre ainsi 48 départements de l’Hexagone ainsi que la Martinique, et dessert de façon disproportionnée les grandes villes. Sentinelles, de son côté, reflète les observations d’une petite portion des médecins du territoire, même si elles sont ensuite corrigées statistiquement. “C’est sans doute la source qui est la plus proche de la circulation réelle du virus en population générale”, estime le chercheur, qui consulte à la fois Sentinelles, SOS Médecins et Oscour pour se faire une idée de la situation.
“Le problème, c’est quand on a des décrochages entre ces indicateurs, par exemple quand les trois montent, mais pas du tout à la même vitesse”, souligne-t-il, un scénario qui s’applique très bien à la situation de début septembre. Pour comprendre ces décalages, les chercheurs en sont réduits à des hypothèses. Quand les données fluctuent, est-ce le signe d’une nouvelle vague ou simplement d’une “plus grande attention” portée au virus ? Si la hausse est plus forte en ville qu’à l’hôpital, “est-ce que ça veut dire qu’une vague touche surtout les jeunes”, moins durement atteints ? Sans dépistage généralisé, il manque des pièces au puzzle qui permettrait de le comprendre. “Ça crée du brouillard”, résume Mircea Sofonea qui, comme d’autres confrères, observe si les tendances se confirment “chez nos voisins qui suivent encore l’épidémie de manière plus rigoureuse”, comme le Royaume-Uni ou la Suisse.
Une vigilance importante pour préserver le système de soins
Pour le chercheur à l’université de Montpellier, la France est mal préparée à l’éventualité d’une nouvelle vague importante : “La surveillance s’est dégradée et on ne l’a pas remplacée par autre chose, ni par une feuille de route qui permettrait de redéployer des moyens en cas de reprise épidémique.” Il existe pourtant des moyens de maintenir une surveillance à moindres frais, comme l’“échantillonnage aléatoire dans la population”, en testant régulièrement des groupes de Français représentatifs de la population générale pour évaluer la situation. Il mentionne également la surveillance des eaux usées, pour laquelle l’Académie de médecine s’était aussi mobilisée, rappelle Yves Buisson : “Aujourd’hui, cette surveillance se fait dans 300 stations d’épuration, il faudrait multiplier le réseau par 10”, estime-t-il. Ces prélèvements permettraient une détection très précoce d’un regain épidémique. “On surveille les eaux usées aussi, pour voir”, assurait Aurélien Rousseau le 8 septembre à l’antenne de Sud Radio. Mais aucune donnée n’a pour l’instant été rendue publique.
Avant d’investir ou non dans ces nouveaux outils, il faut cependant répondre à une question centrale : est-il encore nécessaire de suivre le Covid-19 avec autant d’attention ? Yves Buisson relativise la gravité de cette circulation mal maîtrisée, car l’héritage de la vaccination et des contaminations précédentes “permet de limiter les entrées en réanimation et les décès”. Ce contexte moins critique “ne nécessite pas des réactions rapides, au jour le jour”, juge-t-il. D’autant que, malgré des outils moins précis, “on a détecté la remontée de l’incidence en juillet”, et son lien avec l’arrivée en France du variant surnommé Eris. Les autorités sanitaires ont en effet maintenu une surveillance génomique du Sars-CoV-2, par le séquençage du virus à partir des échantillons des malades testés. De quoi mieux cibler la vaccination et sonner l’alarme si un variant particulièrement inquiétant commençait à s’imposer dans la population : c’est souvent ce phénomène qui entraîne une nouvelle vague d’ampleur.
“Le Covid-19 n’est plus, à lui seul, une menace pour le système de santé”, reconnaît aussi Mircea Sofonea. Mais la grippe et le VRS, un virus respiratoire dangereux pour les nourrissons, ont retrouvé leur niveau habituel avec la fin des restrictions sanitaires, et pesaient déjà lourdement sur l’hôpital avant la pandémie. La persistance du Covid-19 ajoute une cause supplémentaire d’hospitalisations et “contribue au risque de tension”. C’est la raison pour laquelle les autorités sanitaires veulent désormais coupler les campagnes de vaccination antigrippale et anti-Covid. Il faudra alors convaincre, sans courbes montrant clairement le danger, que certains ont encore besoin d’une dose de rappel.