La volonté d’Emmanuel Macron de réguler l’information sur les réseaux sociaux lui vaut d’être accusé de « dérive liberticide » par des médias du groupe Bolloré et des responsables de droite et d’extrême droite. Au cours des dernières semaines, le chef de l’Etat s’est lancé dans un vaste chantier pour « sonner le tocsin » sur les risques que les réseaux sociaux font peser, à ses yeux, sur la démocratie. Il a enchaîné les rendez-vous et a commencé à esquisser des pistes, qu’il entend traduire en « décisions concrètes » début 2026.
A Mirecourt (Vosges), devant les lecteurs du groupe EBRA, il a dit vouloir instaurer la possibilité d’une action judiciaire « en référé » pour bloquer en urgence les « fausses informations » ou les informations « attentatoires » à la dignité d’une personne diffusées sur les réseaux sociaux. A Arras, face aux lecteurs de la Voix du Nord, il a prôné la création d’un « label », porté « par des professionnels » des médias, pour « distinguer les réseaux et les sites qui font de l’argent avec de la pub personnalisée et les réseaux et les sites d’information ». Face aux lecteurs de La Dépêche du Midi, il a rappelé que certains « titres détenus capitalistiquement par des milliardaires ne se voient pas dicter leur ligne par ces milliardaires, parce qu’ils ont une rédaction indépendante ».
Pétition lancée par Bruno Retailleau
Mais, ce week-end, Le Journal du Dimanche, propriété de Vincent Bolloré, s’est emparé du débat pour reprocher à Emmanuel Macron une « dérive totalitaire ». « Le président veut mettre au pas les médias qui ne pensent pas comme lui », écrit l’hebdomadaire ultraconservateur, dénonçant « la tentation du ministère de la vérité ». Cette référence au « miniver » du roman dystopique 1984 de George Orwell a été relayée par les autres antennes de l’industriel breton, de CNews à Europe 1. Emmanuel Macron a critiqué les « milliardaires » qui détiennent des médias « à des finalités d’influence de l’opinion, et pas simplement d’information ».
« La tentation d’Emmanuel Macron de toucher à la liberté d’expression est une tentation autoritaire, qui correspond à la solitude d’un homme (…) qui a perdu le pouvoir et cherche à le maintenir par le contrôle de l’information », a protesté sur CNews le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella.
De son côté, Marine Le Pen a jugé « extrêmement dangereuse », mardi sur BFM-TV, l’idée d’une « labellisation » des médias, y voyant une volonté du chef de l’Etat « de maîtriser l’information ». Par ailleurs, la cheffe des députés RN a considéré que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ne devrait pas surveiller les télévisions privées qui ont « le droit ne pas être neutres ».
« Nul gouvernement n’a à trier les médias ni à dicter la vérité », a pour sa part affirmé sur X, lundi, le patron des Républicains, Bruno Retailleau. Ce dernier a lancé, mardi, une pétition pour dénoncer une « dérive aussi scandaleuse que dangereuse ». « Ce n’est pas cela la démocratie », explique Bruno Retailleau dans le texte de la pétition que Le Figaro a pu consulter. « Sous couvert de lutter contre les fake news, c’est à la liberté d’information et d’expression qu’on s’en prend (…) une nouvelle offensive est lancée contre les médias qui déplaisent à la doxa progressiste », lit-on dans ce document.
Face à ces critiques, l’Elysée s’est fendu lundi soir d’un message sur X pour déplorer que « parler de lutte contre la désinformation suscite la désinformation ». « On nous taxe de totalitarisme en déformant totalement ce qu’a dit le président », a déploré un proche d’Emmanuel Macron auprès de l’Agence France-Presse (AFP). Cette idée de « label » vient des Etats généraux de l’information, qui avaient recommandé en 2024 aux « professionnels de l’information » de s’engager dans une telle démarche pour « renforcer la confiance » du public.
« Tout le monde instrumentalise tout »
Emmanuel Macron a d’ailleurs souligné que ce n’était pas au gouvernement de dire « ceci est une information, ceci n’en est pas », et a plutôt invoqué une initiative de labellisation lancée par l’ONG Reporters sans frontières avec la « Journalism Trust Initiative ».
« Tout le monde instrumentalise tout », s’est désolé auprès de l’AFP un acteur des Etats généraux de l’information, réfutant toute idée de « vérité d’Etat ».
Le chef de l’Etat a, de manière assez rare, placé le débat sur un plan intime, en rappelant qu’il avait été « personnellement » confronté à des fausses informations, et Brigitte Macron « encore plus », une allusion aux campagnes de désinformation et aux rumeurs affirmant que son épouse serait « née homme ». « On est totalement démuni » face à cela, a-t-il plaidé.
Mais, pour l’avocat spécialisé en droit de la presse Christophe Bigot, une telle mesure n’est « ni souhaitable, ni praticable, ni utile ». « Cela supposerait de déterminer ce qui est vrai ou faux, ce qui est très difficile à établir, a fortiori en urgence », a-t-il dit à l’AFP, soulignant qu’une loi similaire sur la manipulation de l’information en période électorale, voulue, déjà, par Emmanuel Macron, était « très peu utilisée », car « impraticable ».
La polémique s’inscrit dans une bataille de plus en plus vive pour une « liberté d’expression » supposée être menacée, menée notamment par la sphère Bolloré, dans le sillage de la défense du « free speech » aux Etats-Unis par la galaxie trumpiste. Le président a commencé à essayer de battre en brèche cette idée, en appelant à la régulation des réseaux sociaux et de leurs algorithmes qui, martèle-t-il, sont « le Far West et pas le “free speech”. Ce n’est pas la liberté de parole que de dire n’importe quoi », a-t-il lancé à Toulouse, « c’est la loi du plus fort ».













