Rashmi Singh est professeure de relations internationales à l’Université catholique pontificale du Minas Gerais, au Brésil, et codirectrice du Réseau de recherche sur le terrorisme, la radicalisation et le crime organisé (TRAC).

Comment décrire ce point de convergence entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay, surnommé « triple frontière » et centre de financement du réseau mondial tissé par le Hezbollah libanais ?

Cette région tropicale de 2 500 kilomètres carrés présente une combinaison topographique idéale pour le crime organisé, avec des frontières poreuses et difficiles d’accès, mais dotée d’importantes infrastructures. Elle compte trois gros centres urbains [Ciudad del Este, deuxième ville du Paraguay, Puerto Iguazu en Argentine et Foz do Iguaçu au Brésil], des zones de libre-échange et des aéroports internationaux en lien avec le tourisme [avec les spectaculaires chutes d’Iguazu]. La zone est traversée de fleuves, avec une multitude de bras de rivières fournissant d’excellentes cachettes.

La communauté syro-libanaise y est à la fois large et ancienne : son installation remonte à la désintégration de l’Empire ottoman, au début du XXe siècle [nombre de Libanais, notamment chiites originaires de la Bekaa, s’y sont ensuite exilés lors de la guerre civile (1975-1990)]. La majorité n’est bien sûr pas impliquée dans les activités illicites ou terroristes ; le Hezbollah profite de sa présence pour se fondre dans la masse. Plus généralement, la population y est ethniquement et linguistiquement très diverse. Il y a des Iraniens, des Chinois, des Allemands, des Italiens, des Français, des Portugais, des Ukrainiens, et j’en passe ! Des organisations mafieuses, criminelles ou terroristes liées à différents pays se côtoient et prospèrent. Même quand elles n’ont pas formé d’alliance ou que ces alliances sont opportunistes, elles sont en contact, empruntant les mêmes itinéraires, les mêmes intermédiaires, et souvent les mêmes transporteurs pour leurs trafics.

A quand la présence du Hezbollah dans cette zone remonte-t-elle ?

Le mouvement chiite libanais y est actif depuis les années 1980 [peu après sa création, dans la foulée de la révolution iranienne, en 1979]. Il est impliqué dans toutes sortes d’activités criminelles, du trafic de drogue à la fabrication de faux documents. Il a aussi utilisé cette zone pour planifier des attentats. Tout ce que fait le Hezbollah à la triple frontière – propagande, recrutement, financement, blanchiment d’argent – est axé sur ses opérations et ses ambitions au Liban. Il profite de la faiblesse des Etats, de la corruption qui gangrène chaque côté de la triple frontière, où juges, policiers, politiciens, maires sont impliqués dans le commerce illicite et la contrebande. Et il évolue dans le même écosystème que d’autres gangs, tels que le PCC brésilien [Primeiro Comando da Capital, « premier commando de la capitale »].

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