
Serait-ce enfin le tour des femmes ? Après une longue série de nominations de directeurs artistiques masculins à la tête de maisons de mode, le vent tourne. En juillet, la Belge Meryll Rogge était promue chez Marni. Et le 2 septembre, la Jamaïcaine Rachel Scott a été choisie chez Proenza Schouler. Elle y remplace Jack McCollough et Lazaro Hernandez, les fondateurs de la marque, eux-mêmes partis reprendre Loewe, une griffe du groupe LVMH. Il est facile de se perdre dans le jeu de chaises musicales qui agite le luxe depuis un an. Rachel Scott fait partie des créatrices qui méritent l’attention.
Née en 1984 à Kingston où sa mère tenait une boutique de vêtements, elle a étudié la littérature française et la philosophie avant de bifurquer vers la mode. Pendant seize ans, elle a dessiné des collections pour le compte de marques américaines (J. Mendel, Elizabeth and James et Rachel Comey) avant d’oser se lancer à son compte. A l’été 2020, pendant le confinement lié à la pandémie de Covid-19 et alors que les Etats-Unis sont secoués par le mouvement Black Lives Matter dénonçant la brutalité policière et le racisme envers les Afro-Américains, elle prend conscience de son désir d’exprimer sa vision du prêt-à-porter.
« Jusque-là, j’avais toujours eu l’impression qu’il n’y avait pas de place pour moi dans la mode. Que d’autres marques s’étaient déjà positionnées sur leur héritage caribéen. Et puis je me suis rendu compte qu’on pouvait être plusieurs sur ce terrain », expliquait-elle au Monde en décembre 2024. En 2021, elle a fondé Diotima. La griffe – dont le nom est un hommage à la prêtresse qui aurait enseigné l’amour à Socrate, et qui, selon certains historiens, aurait été une prostituée – fait honneur à ses origines jamaïcaines en évitant les clichés.
Rachel Scott joue brillamment sur les antagonismes. Elle propose des tailleurs issus du vestiaire masculin, mais aussi des tops en résille ou des robes moulantes tricotées qu’elle fait réaliser par des artisans en Jamaïque. Le crochet et le macramé sont devenus sa signature et donnent à ses vêtements une dimension à la fois artisanale et sensuelle. « Je veux faire grandir mon business, mais pas n’importe comment. Le monde n’a pas besoin d’une nouvelle marque de luxe discret », résumait-elle au Monde.
La designer n’a jamais fait mystère de la difficulté d’être une créatrice de mode indépendante dans un milieu dominé par les grosses marques, et ce malgré une reconnaissance précoce du secteur : en 2023, elle faisait partie des finalistes du prix LVMH. Fin 2024, le Conseil des créateurs de mode américains lui remettait le Prix du meilleur prêt-à-porter féminin. En avril, elle recevait la même récompense du Fashion Trust U.S., un autre organisme de mode américain.
« Regard frais et féminin »
Rachel Scott arrive à un moment décisif dans l’histoire de Proenza Schouler. La griffe a été lancée en 2002 par Jack McCollough et Lazaro Hernandez, deux Américains nés en 1978. A ses débuts, le duo de designers se démarque de la concurrence new-yorkaise en étant moins commercial. Il mêle technologie et artisanat pour fabriquer de nouveaux tissus, invoque des artistes contemporains (Richard Serra, Frank Stella, Robert Morris, etc.). Son aura créative lui vaut le soutien d’Anna Wintour, alors rédactrice en chef du Vogue américain, et de gagner de nombreux prix.
Au début des années 2010, les rumeurs d’un rapprochement avec LVMH – qui investirait dans l’entreprise ou proposerait au tandem de reprendre une maison – circulent. Mais rien ne se passe et, au fil des années, l’étoile de Proenza Schouler commence à pâlir. A la fashion week de New York, leurs collections, répétitives, sont éclipsées par celles de nouvelles griffes plus engagées politiquement, telles que Luar, Willy Chavarria ou… Diotima.
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Aujourd’hui, Jack McCollough et Lazaro Hernandez sont toujours actionnaires de l’entreprise qu’ils ont fondée et siègent au conseil d’administration. En octobre 2024, ils ont nommé une nouvelle directrice générale, Shira Suveyke Snyder. Dans le communiqué de presse annonçant l’arrivée de Rachel Scott, celle-ci s’est réjouie du « regard frais et féminin » que la designer allait apporter à Proenza Schouler. « On a toujours admiré le travail de Rachel. Sa trajectoire, ces dernières années, a été impressionnante », ont fait savoir les fondateurs.
La Jamaïcaine aura-t-elle les moyens de relancer la marque en perte de vitesse ? En tout cas, elle n’abandonne pas Diotima, dont le prochain défilé est toujours prévu le 15 septembre dans le cadre de fashion week de New York printemps-été 2026. Proenza Schouler ne fait pas partie du calendrier cette saison, même si Rachel Scott a travaillé en tant que consultante sur la collection estivale. Son premier essai pour Proenza Schouler aura officiellement lieu en février 2026.