C’est l’histoire d’un quadragénaire admis aux urgences après une blessure accidentelle par arme à feu au niveau de l’épaule gauche. À l’examen initial, on observe un orifice d’entrée unique en regard de l’omoplate gauche, sans orifice de sortie identifiable. Le patient est conscient et ne présente aucun déficit neurologique lors du premier examen clinique.

La radiographie et le scanner thoraco-abdominal montrent de multiples fragments métalliques disséminés dans l’épaule gauche, le thorax gauche, le médiastin (l’espace central situé entre les poumons) et la région paravertébrale gauche.
Les radiologues notent aussi un hématome intramural aortique (une poche de sang à l’intérieur même de la paroi de l’aorte) avec formation d’un caillot d’un centimètre adhérant à la paroi.
Le patient présente par ailleurs de larges contusions pulmonaires, un hémothorax gauche (sang entre le poumon et la cage thoracique) ainsi qu’un volumineux pneumomédiastin (de l’air est présent dans la région centrale de la cavité thoracique).
Le patient est perfusé, intubé et placé sous ventilation mécanique. Étant donné l’absence de rupture de l’aorte, une surveillance étroite est privilégiée plutôt qu’une intervention chirurgicale. Après 48 heures, il est sevré de la ventilation et son état se stabilise.
Peu après l’extubation, il signale une vision trouble. L’examen révèle une hémianopsie homonyme droite : il a perdu la perception de la moitié droite du champ visuel dans chaque œil. Ce déficit traduit une atteinte des voies optiques.
Le scanner cérébral et l’angio-scanner mettent en évidence un infarctus du territoire de l’artère cérébrale postérieure gauche. Un fragment métallique est retrouvé dans le troisième et avant-dernier segment de cette artère.
Le diagnostic est celui d’une occlusion de l’artère cérébrale postérieure par un fragment balistique. Après concertation avec les neurochirurgiens, il est décidé de ne pas extraire chirurgicalement le corps étranger, mais d’administrer de l’aspirine à ce patient victime d’un accident vasculaire cérébral. Son état s’améliore progressivement, mais l’hémianopsie homonyme droite persiste, entraînant une inaptitude définitive à la conduite automobile. Il conserve toutefois une bonne autonomie grâce à l’utilisation d’aides à la lecture (prismes, lunettes grossissantes).
Un long trajet avant d’atteindre une artère cérébrale
Comment expliquer qu’un fragment de balle ait pu migrer de l’épaule jusqu’à une artère cérébrale ? Voici sans doute le trajet : après être entré dans la grande artère qui sort du cœur (l’aorte), le fragment a été emporté par le courant sanguin vers une artère située sous la clavicule (l’artère subclavière). Il s’est ensuite retrouvé dans un vaisseau longeant la colonne vertébrale jusqu’à la base du crâne (l’artère vertébrale). De là, il a gagné un tronc formé par la réunion des deux artères vertébrales (le tronc basilaire), avant d’être stoppé net dans l’une de ses branches : l’artère cérébrale postérieure gauche, qui irrigue le lobe occipital, zone du cerveau impliquée dans la vision.
Les spécialistes parlent d’embolisation intravasculaire d’un projectile balistique pour désigner la migration par voie artérielle (parfois veineuse) d’un fragment dans les suites d’une blessure par arme à feu.
En cas de plaies balistiques de la région thoracique, les fragments peuvent pénétrer d’autres vaisseaux que l’aorte. Il peut s’agir du tronc brachiocéphalique (gros vaisseau qui amène le sang du cœur vers le cerveau, les artères de la face ou les membres supérieurs), du ventricule gauche, voire des veines pulmonaires en cas de lésions pulmonaires diffuses. Ces fragments peuvent ensuite circuler dans le sens du flux sanguin (antérograde) ou, plus rarement, à contre-courant (rétrograde).
Les fragments migrent plus souvent (dans 74 % des cas) vers la circulation sanguine droite (cavités cardiaques droites, veines, artères pulmonaires) que vers la circulation gauche (cavités cardiaques gauches, artères, veines pulmonaires). Cette prédominance s’explique probablement par l’anatomie des gros vaisseaux à la sortie du cœur. En effet, du côté droit, le tronc brachiocéphalique naît plus tôt de l’aorte et présente un diamètre plus large que les vaisseaux équivalents situés à gauche.
Les symptômes peuvent apparaître dans les heures suivant la blessure, mais aussi plusieurs jours, semaines ou mois plus tard. Ce phénomène peut être lié soit au déplacement secondaire de fragments de la balle lors de manœuvres de réanimation cardiaque, soit à une érosion progressive de la paroi artérielle.
Certains patients peuvent toutefois ne présenter aucun symptôme, malgré la mise en évidence à l’imagerie d’un fragment métallique dans un vaisseau intracrânien, probablement en raison d’une occlusion incomplète et/ou de la présence d’un réseau vasculaire collatéral permettant de suppléer le vaisseau obstrué.
Parfois, une obstruction vasculaire de courte durée peut se produire en cas de spasme d’un vaisseau sanguin ou d’une diminution temporaire de la tension artérielle. Enfin, la présence d’un fragment dans une artère cérébrale peut favoriser la formation d’un caillot, qui peut ensuite migrer et provoquer des infarctus secondaires dans d’autres zones du cerveau.
Publié en août 2025 dans la revue en ligne BMJ Case Reports par une équipe irlandaise, ce cas illustre combien il est essentiel, en cas de blessure par balle, de rechercher par scanner la présence éventuelle de fragments ayant migré loin de l’orifice d’entrée. Ceux-ci peuvent provoquer des complications neurologiques sévères, parfois différées. D’où l’importance d’un examen clinique initial méticuleux et de la réalisation d’un scanner corps entier chez toute personne blessée par balle, déclarent Lara Toerien et ses collègues radiologues et urgentistes du Mater Misericordiae University Hospital de Dublin.
Migration du cou jusqu’à l’oreillette droite
Dans de rares cas, une balle peut migrer de son point d’impact initial et se loger à distance, jusque dans le cœur.
En juillet 2025, des chirurgiens ukrainiens et américains ont rapporté dans la revue Military Medicine le cas d’un militaire de 38 ans blessé au cou lors d’un échange de tirs.
Sur le terrain, les premiers gestes médicaux lui ont été prodigués : pansements compressifs, antalgiques, un produit antihémorragique (acide tranexamique), antibiotiques et prophylaxie antitétanique.
Son évacuation a duré près de 48 heures. Durant ce temps, son état est resté stable. L’absence de saignement au niveau de la plaie cervicale ne nécessite pas d’intervention supplémentaire. Deux jours après la blessure, le soldat est toujours conscient, autonome et stable. L’examen de la plaie du cou, après retrait du pansement, ne montre ni saignement, ni signe d’infection.
C’est de façon fortuite, lors d’une radiographie du bras gauche effectuée pour explorer une fracture du radius, que les médecins détectent une opacité métallique au niveau de la région cardiaque. Un scanner thoracique confirme alors la présence d’un objet mobile situé dans l’oreillette droite.
En plus de cette découverte inattendue, le patient présente plusieurs lésions associées, dont une plaie traversant de part en part l’avant-bras gauche avec fracture et perte de substance osseuse du radius. Elle est stabilisée par un fixateur externe.
Ce soldat a été opéré en urgence pour extraire la balle localisée dans l’oreillette droite. Yaroslav Tielushko de l’hôpital militaire de Zaporijjia, Stacy Shackelford de l’U.S. Air Force Academy (Colorado Springs) et leurs collègues précisent que l’analyse a révélé que la balle a pénétré par la région cervicale, occasionnant une lésion de la veine jugulaire, avant de migrer jusqu’à l’oreillette droite.
L’évolution postopératoire a été favorable : la plaie du cou a cicatrisé en cinq jours sans complication. Un mois et demi plus tard, ce patient a bénéficié d’une greffe osseuse visant à restaurer la continuité du radius.
Toujours en juillet 2025, des chirurgiens pédiatres américains ont publié dans le Journal of the American College of Cardiology, Case Reports, le cas d’un garçon de 10 ans blessé à la partie antérieure droite du cou par le tir accidentel de son pistolet à air comprimé. Le petit projectile a d’abord pénétré la veine jugulaire interne droite, puis a été entraîné par le flux sanguin jusqu’au cœur, où il s’est logé dans le ventricule droit. Les chirurgiens ont ouvert le sternum pour accéder au cœur et retirer le projectile avec succès.
En France, des radiologues du CHU de Montpellier ont rapporté en 2004 dans le Journal d’Imagerie Diagnostique et Interventionnelle un cas de migration balistique intra-artérielle chez un septuagénaire victime d’une plaie par arme à feu dans le dos. Au scanner, ils ont été surpris de constater que la balle n’était plus dans le thorax, mais avait migré jusqu’à la racine de la cuisse gauche. Le projectile est entré dans la circulation générale via la veine pulmonaire supérieure droite, puis a pénétré l’oreillette gauche du cœur. Il a ensuite été emporté par le flux sanguin et a atteint l’artère fémorale profonde gauche.
Comme le patient ne présentait ni trouble circulatoire majeur, ni diminution soudaine du flux sanguin vers la jambe, l’équipe de chirurgie vasculaire a choisi de ne pas intervenir immédiatement. Un traitement antibiotique a été instauré pour prévenir la formation d’un abcès autour de la plaie d’entrée de la balle et limiter le risque d’infection sanguine liée au corps étranger. Un an après l’accident, le patient ne présentait aucune séquelle.
Ces cas montrent donc qu’il convient de suspecter une embolisation balistique intra-artérielle lorsque le projectile se trouve à distance de la trajectoire attendue ou qu’aucun orifice de sortie n’est identifié. La plupart du temps cependant, les lésions internes liées à une plaie par balle suivent une ligne virtuelle reliant l’orifice d’entrée à un éventuel orifice de sortie, généralement bien visibles lors de l’examen clinique ou de la tomodensitométrie initiale.
Cas de soldats ayant servi au Vietnam, en Afghanistan, en Irak
Fort heureusement, l’embolisation intravasculaire d’un projectile balistique dans les suites d’une blessure par arme à feu est extrêmement rare. L’étude de vastes cohortes de blessés de la guerre du Vietnam a permis d’estimer son incidence à environ 0,3 %.
Publiée en 1978, une étude portant sur 7 500 cas de traumatismes pénétrants pendant la guerre du Vietnam indiquait seulement 22 cas d’embolies balistiques, dont 19 étaient des embolisations artérielles. Seuls trois de ces 22 cas décrivaient une migration de la balle dans la circulation cérébrale.
De même, en examinant 346 militaires américains ayant présenté une lésion vasculaire lors des opérations en Afghanistan et en Irak, une étude a identifié quatre cas (1,1 %) d’embolisation intravasculaire (artérielle ou veineuse), dont un seul (0,3 %) était lié à une blessure par balle, les autres cas étant causés par des explosions.
Embolies balistiques chez des civils
Plus récemment, en 2019, une étude américaine a évalué la fréquence des embolies balistiques sur une période de 30 ans chez des civils. Au total, 261 cas d’embolisation balistique ont été analysés. Dans la majorité des cas, les victimes étaient de jeunes hommes atteints au thorax par un seul tir.
Dans plus d’un cas sur deux (56 %), la balle a pénétré une grosse veine, plus rarement une artère ou directement le cœur. Son trajet a été dans le sens rétrograde dans 17 % des cas. Lorsqu’elle a migré dans la circulation gauche (celle qui alimente les organes), elle a souvent provoqué des complications vasculaires sévères, notamment infarctus cérébraux, cardiaques, rénaux ou une insuffisance d’oxygénation d’un membre (ischémie). Par ailleurs, plus de 85 % des embolisations dans les vaisseaux de la tête et du cou entraînent des séquelles ischémiques irréversibles.
Le traitement repose le plus souvent sur la chirurgie ouverte (embolectomie chirurgicale), mais il peut, dans de rares cas, être réalisé par voie endovasculaire, c’est-à-dire en passant par l’intérieur des vaisseaux sanguins pour récupérer le projectile. Enfin, lorsque le patient reste asymptomatique ou présente des signes neurologiques mineurs, une simple surveillance peut être envisagée afin de limiter les risques inhérents à la chirurgie.
Ces cas montrent que les vaisseaux sanguins peuvent se transformer en un véritable labyrinthe pour un projectile d’arme à feu, qui peut alors s’éloigner considérablement de son point d’entrée. Les équipes médicales doivent donc toujours garder à l’esprit la possibilité d’une « balle baladeuse ».
Pour en savoir plus :
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