Des historiens, Gérard Béaur et Pablo F. Luna, se sont étonnés, dans une tribune du Monde du 23 octobre – « Les trois lauréats ont fait appel à l’histoire sans s’apercevoir qu’elle entrait souvent en contradiction avec leurs théories » –, de la récente attribution du prix Nobel d’économie à Daron Acemoglu, James Robinson et Simon Johnson pour leurs travaux sur le rôle des institutions dans le processus de développement économique.

Ils notent que les travaux de ces trois économistes (bien que James Robinson soit à l’origine un politiste), tout en faisant appel à l’histoire, ont été largement infirmés par celle-ci. En filigrane, ils s’inquiètent de la légitimation, au travers de ce prix, de thèses sur les bienfaits de la propriété privée qui peuvent potentiellement être mobilisées à des fins politiques funestes.

Cette interrogation ouvre un débat – tout à fait légitime – sur le sens d’une récompense telle que le prix Nobel dans le domaine des sciences sociales. Les exemples que la tribune cite pour étayer son propos montrent effectivement que la question du développement économique (qui est aussi social et politique) est complexe et résiste définitivement à toute théorie qui prétendrait identifier un facteur « primordial ».

La connaissance scientifique est toujours provisoire

Pour autant, les travaux des historiens qui sont mentionnés ne sont eux-mêmes nullement définitifs – ils ne prétendent pas nécessairement l’être, ce qui nous rappelle qu’aujourd’hui les sciences sociales n’apportent pas de réponse non controversée et consensuelle à la question de savoir quels sont les mécanismes qui promeuvent le développement économique.

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Doit-on alors s’interdire de récompenser des travaux qui ont alimenté, sur les vingt dernières années, de nombreuses recherches, certaines infirmant, d’autres confirmant la thèse du rôle essentiel des institutions ? Il est vrai que les prix Nobel attribués dans les disciplines scientifiques dites « dures » tendent à récompenser des travaux qui semblent marquer un progrès de la connaissance incontestable en produisant un savoir non controversé. Pourtant, la philosophie des sciences et l’épistémologie nous enseignent que, quelle que soit la discipline, la connaissance scientifique est toujours provisoire et sujette à remise en question.

Ainsi que le philosophe autrichien Karl Popper (1902-1994) l’a fameusement démontré, la logique de la science est celle du modus tollens : on ne peut logiquement jamais affirmer avec certitude qu’une théorie scientifique est vraie, on ne peut qu’observer que certains faits contredisent, voire réfutent, une théorie.

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