Dans une France qui gronde mais n’a pas encore rompu, l’entrée en scène du nouveau premier ministre, le cinquième depuis le début du second mandat d’Emmanuel Macron, le troisième depuis la désastreuse dissolution de 2024, est presque passée pour un non-événement. Le communiqué lapidaire de l’Elysée annonçant, mardi 9 septembre, la nomination du ministre de la défense démissionnaire, Sébastien Lecornu, à Matignon, et la brièveté de son discours, mercredi 10 septembre, lors de la passation des pouvoirs, alors que le quartier était sous haute surveillance policière en raison du mouvement Bloquons tout, en disent long sur la rapide perte de prestige des deux maisons.
Les chances de réussite de celui auquel il appartient de recoller les morceaux, trois jours après la chute du gouvernement Bayrou, sont minces. Non seulement le socle commun, cette fragile alliance entre les macronistes et la droite, est en capilotade, mais rien dans le profil du nouveau promu n’est de nature à amadouer les socialistes, devenus incontournables pour faire adopter le budget : venu des rangs de l’UMP, devenu très proche du chef de l’Etat, mal connu des Français, l’élu normand âgé de 39 ans peine à incarner le changement. Attablé plusieurs fois avec Marine Le Pen, il est en outre suspecté, à gauche, de compromission.
Passé le premier moment de colère, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, n’a cependant pas fermé la porte à des discussions serrées, contrastant avec Jean-Luc Mélenchon, enfermé dans une stratégie du chaos au moment où le Rassemblement national, favori des sondages, pousse à la dissolution.
Ecoute et modestie
Dans ce moment dangereux, une toute petite possibilité existe de bâtir le compromis qui se dérobe depuis un an. Elle tourne autour du mot « rupture ». Dans sa très courte déclaration, Sébastien Lecornu l’a employé en promettant des « ruptures et pas que sur la forme ». Il s’agissait d’abord de s’affranchir de l’Elysée en soulignant la latitude que lui laisse le chef de l’Etat pour ouvrir de larges discussions, sans calendrier fixe, avec ceux qui choisissent de s’inscrire dans cette logique, forces politiques et partenaires sociaux. Il était tout aussi urgent de rompre avec le style de François Bayrou qui, à force de délivrer une interminable leçon sur la dette, a achevé de creuser son impopularité et de hérisser les groupes avec lesquels il se faisait fort de négocier.

Au point de disgrâce où en est arrivé l’exécutif, l’écoute et la modestie ne sont pas les plus mauvaises postures, mais, à un moment donné, le premier ministre devra dire s’il est aussi prêt à appliquer le terme de « rupture » à l’esquisse budgétaire de son prédécesseur, fortement rejetée dans sa forme actuelle. Alors que la droite, avec laquelle il cherche à resserrer les liens, reste intransigeante sur la question fiscale, les socialistes n’entreront dans un processus de non-censure que s’ils obtiennent de réelles inflexions sur la fiscalité des plus hauts patrimoines.
Les Français quant à eux n’accepteront le plan de consolidation budgétaire que s’ils le perçoivent comme juste, ce qui est l’exact contraire aujourd’hui. La suppression envisagée de deux jours fériés cristallise à juste titre leur colère parce qu’elle revient à demander aux actifs, y compris les plus précaires, de travailler plus pour gagner moins. Pour espérer donner une chance au compromis, la copie est à rebâtir.