Immédiatement après sa nomination à Matignon, Michel Barnier a fait une déclaration qui a surpris tout le monde. Dans la même phrase, il a prononcé les mots « vérité » et « dette écologique ». Il faut, avait-il dit le 7 septembre, « dire la vérité » sur « la dette financière et la dette écologique ». A l’instant même où elle s’est échappée de la bouche du nouveau premier ministre, cette sortie a été commentée par des observateurs décontenancés par un tel propos. Mais qu’a-t-il bien pu se passer pour que cette brève déclaration, qui relève pourtant du truisme, paraisse aussi incongrue et inattendue dans la bouche d’un responsable politique de la droite républicaine ?

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Les commentateurs ont fini par s’y accoutumer, par l’accepter comme si c’était le fruit d’une loi de la nature : tout l’espace politique compris entre le centre et les droites extrêmes est, du point de vue de la question environnementale, une terra nullius. Marginalisées, les rares figures conservatrices qui portaient une vision, ou au moins affichaient une sensibilité sur le sujet, se sont effacées. De rares députés du parti Les Républicains s’en désolent, en vain.

Pour saisir dans toute sa magnitude ce phénomène – la disparition de l’écologie du logiciel moral et politique de la droite –, il suffit là encore de se référer à Michel Barnier. Sa vision de la question environnementale a été consignée dans un livre dense et précis mais il est hélas difficile de se le procurer en librairie, puisqu’il a été écrit il y a près de trente-cinq ans.

Chacun pour tous. Le défi écologique (Stock, 1990) est le fruit d’une enquête parlementaire conduite par Michel Barnier alors jeune député, dont la carrière avait commencé quelques années auparavant auprès de Robert Poujade (1928-2020), un gaulliste, qui fut le premier ministre de l’environnement. On l’oublie souvent, mais c’est un homme de droite qui a été la première incarnation de l’écologie au gouvernement – et c’est aussi lui qui, une fois congédié, avait eu ce bon mot que chacun connaît, faisant de l’hôtel de Roquelaure le « ministère de l’impossible ».

Des enjeux bien documentés

Lu trente-cinq ans plus tard, le livre de Michel Barnier a quelque chose de fascinant. Au moment où il est rédigé, le Sommet de la Terre à Rio ne s’est pas tenu et les grandes conventions environnementales n’ont pas été signées, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’a pas rendu sont premier rapport, la convention de Stockholm sur les polluants persistants ne sera signée que onze ans plus tard… Pourtant, tous ces enjeux sont déjà bien documentés, fidèlement rapportés et analysés dans Le défi écologique et, pour le lecteur des années 2020, la surprise provient autant de la précision des connaissances déjà disponibles à l’époque que de ce qu’elles avaient percolé à droite de l’échiquier politique.

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