Rien ne semblait plus agacer Alexeï Navalny que cette question : « pourquoi retourner en Russie ? » Ses éditeurs n’ont pas manqué de la lui poser par visioconférence, eux aussi, lorsque, à la fin de l’année 2020, l’opposant russe leur a proposé son autobiographie. Il y répond, dans Patriote, qui paraît en France le 22 octobre chez Robert Laffont (528 pages, 25 euros) : pour défendre ses convictions. Et, pour lui, cela ne se discute pas.

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Tout juste sorti de cinq mois de convalescence éprouvante en Allemagne après avoir été empoisonné sur le sol russe au Novitchok, un puissant agent neurotoxique, Alexeï Navalny a donc embarqué, le 17 janvier 2021, pour Moscou. A peine descendu de l’avion, il sera arrêté. Trois ans plus tard, le 16 février 2024, il meurt dans une colonie pénitentiaire au-delà du cercle arctique sans jamais être sorti de détention.

Il ne lui restait plus que cela : écrire. Interdit de se présenter aux élections, poursuivi par d’innombrables procès, traqué par une équipe d’agents chargée de l’assassiner, ses possibilités de mobiliser la société russe, dans un contexte répressif de plus en plus violent, se réduisaient. Ses vidéos percutantes sur la fortune des élites du pouvoir, dont la dernière sur le « palais de Poutine » au bord de la mer Noire, publiée dans les heures qui ont suivi son retour en Russie, ne suffisaient plus pour celui qui entendait incarner une alternative au chef du Kremlin, maître du jeu depuis plus de vingt ans.

Chapitres plus intimistes

Commencé en Allemagne, dans une maison de Fribourg, le récit d’Alexeï Navalany s’ouvre par la tentative d’empoisonnement dont il a été l’objet, le 20 août 2020, alors qu’il se trouvait à bord d’un avion reliant la ville sibérienne de Tomsk à Moscou. Avec l’ironie mordante teintée de flegme qui le caractérise, il écrit : « En réalité, mourir ne faisait pas mal. Si je n’avais pas été en train d’expirer, jamais, je ne me serais allongé par terre à côté des toilettes. Comme vous pouvez l’imaginer, le sol n’était pas particulièrement propre. » « Vous » : chacun est interpellé et le sera tout au long de ces Mémoires.

Viennent deux autres chapitres plus intimistes sur son enfance, dans des villes de garnison – son père était officier de liaison dans les forces antiaériennes, sa mère, comptable dans le civil ou dans des unités militaires – et sur son engagement. Deux parties très politiques aussi, car l’opposant en profite pour évoquer les thèmes obsédants de la Russie contemporaine : Tchernobyl, à 700 kilomètresde la ville de garnison où il se trouvait à l’âge de 10 ans, symbole des mensonges de l’Etat ; l’Afghanistan, incarnation de la gabegie du pouvoir aux conséquences désastreuses ; le rôle de Gorbatchev, à propos duquel Alexeï Navalny esquisse une révision indulgente pour un homme imperméable à la corruption ; et celui d’Eltsine, revisité à la baisse pour les raisons contraires.

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