Quand il apparaît pour la première fois, dans le jeu Donkey Kong (1981), Mario ne peut, pour se distinguer, compter que sur deux caractéristiques : sa fière moustache et ses bonds formidables. Près d’un demi-siècle et des centaines de jeux plus tard, la moustache est toujours là, et son bête mais efficace saut se décline désormais en une palette de techniques acrobatiques qui confère au plombier le statut de véritable Mozart du salto. Dans les rares épisodes qui lui ont été consacrés, son rival simiesque Donkey Kong lui, est resté fidèle à lui-même : bourru, musculeux, plus proche des rythmes sourds d’une discothèque que de la Petite musique de nuit.
L’introduction du jeu de 1981 le montrait, faisant ployer des échafaudages de métal sous les assauts de ses pas lourds, jetant d’imposants tonneaux et levant un poing menaçant qu’on imaginait pouvoir s’abattre à tout moment. Quand on le retrouve en 2025 à l’affiche de ses propres aventures (Donkey Kong Bananza, disponible sur Switch 2, jeudi 17 juillet) c’est avec, à sa disposition, à peu près le même arsenal.
Tout juste « DK » a-t-il mis à profit toutes ces années pour digérer les vieilles rancœurs : cela fait longtemps que ce cousin de l’inquiétant King Kong est devenu une sorte de nounours à quatre mains. La preuve : plus question ici de kidnapper la jeune Pauline, désormais camarade de jeu. C’est ensemble que les deux hominidés, main dans la patte, se lancent dans une sorte de « Voyage au centre de la terre » cartoonesque, à la poursuite de vilains qui cherchent à rejoindre le cœur de la planète pour… pour quoi exactement ? On ne sait plus très bien et on s’en fiche.
Des poux dans la tête
Comme Mario est très occupé à multiplier les tours de piste dans Mario Kart World, c’est à Donkey Kong que revient l’honneur d’être la star du premier jeu de plateforme (d’action ? d’aventure ?) de la toute récente Switch 2. Et donc à Donkey Kong Bananza de nous faire la démonstration de ce que la nouvelle console de Nintendo a dans le ventre.
Vastes environnements, animation à la limite du dessin animé, profusion d’éléments à l’écran… En la matière, DK rempli son office. On accrochera ou non à la direction artistique, aux couleurs fluo, à la galerie de personnages volontairement grotesques, mais ce qui s’affiche à l’écran, on l’a rarement vu dans un jeu Nintendo.
Comme dans l’intro du jeu de 1981, chaque saut de DK menace ainsi de faire s’écrouler le sol, tandis que la terre s’ouvre sous ses pas et que les blocs de pierre qu’il balance se fracassent et explosent en feu d’artifice de roche. Les ennemis se déplacent en meute grouillante, grimpant sur la toison du puissant gorille plus sûrement (et plus nombreux) que des poux sur la tête d’un élève de CE1.
A mesure des baffes qu’il distribue généreusement, DK pulvérise un environnement quasi intégralement destructible, creusant des tranchées dans le décor avec la facilité d’une petite cuillère se frayant un passage dans un pot de Nutella. Sa capacité de destruction est encore multipliée quand il entre dans une forme de transe (la « bananza » du titre, laborieuse métaphore musicale qui traverse le titre), se transformant en gorille géant capable de raser une montagne en quelques coups. A noter que d’autres transformations animales, rarement très intéressantes, existent : pas l’aspect le plus réussi du jeu.
Tel Picsou dans sa piscine
Tout ça est fatalement assez chaotique. Ce n’est pas très grave. Donkey Kong Bananza, à moins d’aller volontairement se frotter aux défis entièrement optionnels, est un jeu permissif, dont le but n’est pas tant de faire preuve de son habileté à la manette que d’explorer, à un rythme frénétique, des environnements regorgeant de trésors.
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On pense ainsi à une version sous stéroïdes de Super Mario Odyssey (2017), avec lequel Nintendo avait renoncé pour de bon à concevoir ses niveaux comme des parcours du combattant, pour proposer à la place de vastes bacs à sable remplis de secrets. Ici non plus, outre le prétexte de sa progression vers le centre de la planète, DK n’a pas tellement d’objectifs, ou plutôt il en a tellement qu’on finit par les remplir sans s’en rendre compte.
Plus de 600 bananes à dégoter, des milliers de fossiles à collectionner… Parfois, ceux-ci sont planqués, hors d’atteinte, demandent de combiner (jamais tout à fait de la même manière) ses compétences d’une nouvelle façon ou se révèlent qu’au bout d’un petit chemin d’obstacles. Mais souvent, il n’y a qu’à taper dans la moindre motte de terre ou à creuser dans la moindre colline pour déterrer une récompense clinquante ou une gratification minuscule. On s’enfonce ainsi dans les strates du monde de Donkey Kong Bananza comme Picsou plonge dans sa piscine d’argent : jusqu’à assez tard dans la partie, on risque moins de se faire mal en tombant sur un ennemi qu’en se cognant le petit orteil sur un gros tas d’or.

Rendu au bout du parcours, on n’est pas très sûr de savoir à quoi on a joué. Jeu de plateforme ? Oui, parfois, même si l’adresse n’est vraiment pas, sinon dans la dernière ligne droite, la qualité du joueur la plus sollicitée. Jeu d’aventure ? Un peu – c’est du moins l’impression que finit par donner ce périple vernien assez inhabituellement scénarisé pour un jeu Nintendo. Jeu d’action ? Sans doute, vu la quantité astronomique de sandwichs de phalanges qu’on y distribue, sans forcément bien s’inquiéter de savoir qui les reçoit.
Jeu d’exploration en fait, surtout, puisqu’on y prend au moins autant de plaisir à avancer, pressé de découvrir de quoi sera faite la prochaine strate de cette planète qui a davantage de couches qu’un oignon, qu’à revenir en arrière pour collecter quelques-unes des mille surprises qu’on a forcément ratées en route. L’idée n’étant pas tellement de les trouver (à quoi bon ?) que d’admirer les mille façons toutes plus ingénieuses les unes que les autres dont Nintendo les a cachées.
L’avis de Pixels en bref
On a aimé :
- l’impression de pouvoir avancer, sauter, creuser dans n’importe quelle direction, et d’y trouver à chaque fois un nouveau secret
- la qualité de l’animation, quasi dessin animé
- la dimension extrêmement foutraque et rigolote de l’ensemble
On a moins aimé :
- les transformations animales, souvent assez anecdotiques
- la tentative de raconter une histoire, qui ne prend jamais vraiment
C’est plutôt pour vous si :
Ce n’est plutôt pas pour vous si :
La note de Pixels :
57 phalanges sur 4 mains