Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, un ancien chef de l’Etat dormira d’ici quelques semaines en prison pour avoir, avec l’aide de ses proches, participé à une « association de malfaiteurs » en vue de « préparer une opération de corruption au plus haut niveau possible » lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle de 2007.

Le choc provoqué, jeudi 25 septembre, par le jugement du tribunal correctionnel de Paris condamnant Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison ferme dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007 est à la hauteur de la gravité des faits reprochés.

Il renvoie aux années de la conquête du pouvoir, à la honteuse lune de miel qui s’était déroulée à ciel ouvert entre le remuant prétendant à la succession de Jacques Chirac, qui se vivait alors comme invincible, et Mouammar Kadhafi, l’un des dictateurs les plus infréquentables.

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Les quatre mois d’audience, durant lesquels Nicolas Sarkozy n’aura cessé de clamer son innocence, en affirmant qu’il n’existait aucune preuve contre lui, ont mis en lumière la fragilité des témoignages de ses proches, qui ont multiplié les contacts avec des intermédiaires peu recommandables et des hauts dignitaires libyens aux mains tachées de sang.

Pour le tribunal, ces « rencontres occultes » n’ont de sens que « par la nécessité d’obtenir des fonds » pour la campagne de M. Sarkozy. En droit, la préparation d’un délit suffit à caractériser l’association de malfaiteurs, et c’est par ce biais que la justice est parvenue à mettre en lumière des comportements graves touchant non seulement à la morale mais aussi à l’indépendance nationale.

Garde-fous

Entre les premiers soupçons concernant cette affaire et le jugement du tribunal, plus de dix ans se seront écoulés. C’est dire la pugnacité qu’il a fallu aux enquêteurs, après les révélations de Mediapart, pour faire remonter à la surface ce qui avait vocation à rester dans les tréfonds d’une campagne électorale. Le fait que la justice soit passée, en dépit des embûches, est une bonne nouvelle pour la démocratie, car, en confortant son indépendance, elle a aussi délivré le message rassurant que nul n’est au-dessus des lois, au moment où la défiance à l’égard des politiques atteint un niveau préoccupant. Tout en renforçant les garde-fous pour l’avenir alors que les tentatives d’ingérences étrangères se multiplient.

Nicolas Sarkozy, après sa condamnation, au tribunal de Paris, le 25 septembre 2025.

La façon dont a réagi M. Sarkozy, déjà condamné définitivement à de la prison ferme dans l’affaire dite « des écoutes », est cependant symptomatique. Comme à chaque fois, l’ancien président de la République s’en est pris aux juges. La droite, quels que soient ses courants, ne parvient pas à couper le cordon avec celui qui reste le dernier de ses représentants à avoir conquis l’Elysée.

La charge commune portée par Les Républicains et le Rassemblement national contre la décision du tribunal de prononcer, comme dans l’affaire touchant Marine Le Pen, l’exécution provisoire de la peine sans attendre le résultat de l’appel, au regard de la désinvolture affichée par les condamnés, montre que la justice n’en a pas fini avec le procès que lui instruisent ceux qui veulent à tout prix lui échapper.

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La subtilité du jugement, qui reconnaît Nicolas Sarkozy coupable d’association de malfaiteurs mais le relaxe, faute de preuve, de financement illégal de campagne électorale, était nécessaire. Elle laisse, hélas, la porte ouverte à une nouvelle et préoccupante charge contre l’Etat de droit, devenue l’un des points de convergence entre la droite et l’extrême droite.

Le Monde

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