Un an après les émeutes du 13 mai 2024, qui ont fait 14 morts et plongé la Nouvelle-Calédonie dans le chaos économique, personne n’osait rêver de la scène qui s’est jouée, samedi 12 juillet, à l’aube, dans le huis clos d’un hôtel de Bougival (Yvelines) : deux camps qui se traitaient de noms d’oiseaux et refusaient tout dialogue ont accepté de dépasser leur querelle pour s’engager à explorer ensemble une voie institutionnelle inédite.
Si le processus va à son terme, l’archipel du Pacifique deviendra un « Etat de la Nouvelle-Calédonie » au sein de la République, doté d’attributs de souveraineté mais, pour l’heure, pas de tous. Une construction sui generis dont l’accouchement résume et épouse toute la complexité du dossier calédonien. La portée de l’engagement qui s’est joué sur le fil, au terme de dix jours d’échanges très tendus conduits sous la houlette du ministre des outre-mer, Manuel Valls, est bel et bien historique. C’est une leçon de responsabilité dont beaucoup, par les temps qui courent, pourraient s’inspirer.
Certes, la prudence s’impose, rien n’est encore acté : les indépendantistes et les non-indépendantistes qui ont pris le risque de s’engager vont, à présent, devoir convaincre leur base. Cela s’annonce difficile des deux côtés, parce que les trois référendums d’autodétermination organisés, entre 2018 et 2021, pour clore le cycle des accords de Matignon et de Nouméa qui s’était ouvert, quarante ans plus tôt, dans la même atmosphère de violence n’ont en réalité rien soldé.
En donnant une majorité de plus en plus étriquée au non à l’indépendance, ces consultations n’ont fait qu’exacerber les tensions entre les loyalistes, qui n’ont eu de cesse de vouloir pousser leur avantage auprès du gouvernement, et les Kanaks, pour qui le processus ouvert en 1988 par Michel Rocard pour surmonter le drame de la grotte d’Ouvéa ne pouvait conduire qu’à l’indépendance. Dans chaque camp, les plus radicaux vont être naturellement tentés de ne voir le verre qu’à moitié plein.

La situation économique et sociale désastreuse dans laquelle se trouve aujourd’hui l’archipel appelle cependant à la responsabilité. Victime de ses divisions et de son incapacité à répondre aux attentes de la population, exposée à la forte pression des milieux économiques, la classe politique calédonienne, largement discréditée, a besoin de passer à autre chose. Le conclave de Bougival lui offre une porte de sortie.
Certes, les acteurs qui acceptent de s’engager jouent gros, mais ils peuvent aussi gagner gros, car une fois lancé le nouveau processus institutionnel – l’ambition est d’y arriver très vite, dès l’an prochain –, les évolutions vers plus ou moins d’indépendance dépendront du rapport de force politique qui se créera, au fil des élections, dans l’archipel. Les citoyens calédoniens, lors des élections locales, auront ainsi un rôle crucial pour déterminer l’avenir. Quant aux derniers transferts de compétences régaliennes, ils dépendront du Congrès calédonien à la majorité qualifiée, et non de l’Etat.
Le fait qu’un pacte de réformes économiques accompagne le processus est un autre signe de maturité. La crise du nickel calédonien, bien moins compétitif que celui extrait en Chine et en Indonésie, a dissipé l’illusion d’une rente à laquelle se raccrochaient trop facilement les deux camps. Un modèle de développement original est à bâtir, qui suppose d’atténuer les tensions et de maintenir pendant quelques années au moins un puissant soutien financier de l’Etat français.
Ouverte par une poignée de courageux, la perspective tracée par le conclave de Bougival ne paraît pas complètement hors de portée.