Nous qui sommes binationaux, qui avons grandi entre plusieurs langues, plusieurs histoires, plusieurs horizons, nous ressentons avec une acuité particulière la violence de cette époque qui, à défaut de nous comprendre, tente de nous contraindre à choisir. Comme si choisir signifiait renoncer à une part de nous-mêmes. Comme si notre existence, façonnée par le dialogue entre nos identités, devait se soumettre à l’injonction du soupçon, à l’exigence d’une loyauté exclusive, à la remise en cause incessante de notre attachement à la France.

Quand Amin Maalouf répondait à ceux qui lui demandaient s’il était « plutôt français » ou « plutôt libanais », qu’il était « l’un et l’autre ! » (Les Identités meurtrières, Grasset 1998), il exprimait une vérité profonde, la nôtre.

Car nous ne sommes pas faits de moitiés, de morceaux que l’on pourrait soustraire ou additionner. Nous sommes entiers, indissociables de ces héritages multiples qui nourrissent notre regard sur le monde. Nous n’accepterons pas d’être réduits à des pièces détachables de nations concurrentes, ni d’être relégués à la périphérie de la République sous prétexte que nous en incarnons la diversité.

Une forteresse

Montesquieu (1689-1755), dans sa sagesse, refusait de privilégier un attachement au détriment d’un autre : il savait qu’aimer sa patrie ne signifiait pas exclure le reste du monde, mais bien comprendre que l’humanité est un tout.

Pourtant, aujourd’hui, des voix s’élèvent pour faire de l’identité une forteresse, un rempart dressé contre ceux qui, comme nous, refusent d’abdiquer leur dimension plurielle. Ces voix ne sont pas seulement celles de l’extrême droite ; elles s’infiltrent insidieusement dans le discours public, normalisant l’idée que certains Français devraient sans cesse prouver leur appartenance, alors que d’autres en seraient les dépositaires naturels.

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Le climat actuel en France attise cette suspicion. Les polémiques autour de l’immigration, de la laïcité, de l’identité nationale ne cessent de nous rappeler que notre présence dérange, que nos noms, nos visages, nos traditions sont perçus comme des fissures dans l’unité du pays. Ce n’est plus seulement la rhétorique d’un Jean-Marie Le Pen (1928-2025) affirmant qu’il préfère ses filles à ses nièces, ses nièces à ses cousines et ainsi de suite jusqu’à l’exclusion de l’autre. C’est désormais une pensée qui s’invite dans les couloirs du pouvoir, dans les colonnes des journaux, sur les plateaux de télévision, dans la bouche de ceux qui prétendent incarner l’esprit républicain, tout en distillant le poison du doute à notre égard.

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