« Encore un instant, monsieur le bourreau ! » Une partie de l’industrie automobile européenne semble avoir fait sienne la phrase apocryphe de la comtesse du Barry. Plusieurs constructeurs exercent un lobbying intensif auprès de la Commission européenne pour repousser le délai de mise en œuvre des règles visant à limiter les émissions de CO2 des véhicules.

Au cœur des inquiétudes, le durcissement de la norme dite « CAFE » (Corporate Average Fuel Economy), qui plafonne le niveau moyen d’émissions de CO2 par kilomètre et par voiture vendue. Dès 2025, celles-ci doivent être abaissées de 15 % par rapport à leur niveau de 2021. Les industriels qui n’atteindraient pas cette cible encourent de lourdes amendes. A quelques mois de l’échéance, certains constructeurs comme Volkswagen ou Renault risquent de se trouver hors des clous. Un document a été adressé aux services de la Commission pour agiter la menace de « millions » de suppressions d’emplois en Europe au cas où les échéances seraient maintenues.

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Ces constructeurs s’estiment placés face à un dilemme : soit payer d’importantes pénalités, soit renoncer à commercialiser des véhicules à combustion thermique pour faire remonter la part des voitures électriques dans leurs ventes globales et passer ainsi la barre fixée par la Commission. Une troisième solution consisterait à racheter des crédits-carbone auprès de constructeurs plus vertueux comme l’américain Tesla ou certaines marques chinoises. Dans tous les cas, le manque à gagner fragiliserait le modèle économique des contrevenants.

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Le raisonnement s’appuie sur le fait que les ventes de voitures électriques, après une forte hausse ces dernières années, ont tendance à plafonner et que les projections faites lorsque les nouvelles normes ont été élaborées seraient désormais caduques. Cette logique est pourtant battue en brèche par le constat que certains comme Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, Chrysler…) ou BMW n’auront aucun mal à respecter la norme CAFE. Ce qui veut dire que la réussite ou l’échec à se mettre en conformité avec les règles européennes dépend surtout de la stratégie propre à chaque constructeur.

Enjeu climatique

Or, ces dernières années, certains ont fait le choix de doper leurs profits en orientant leur gamme vers des gros véhicules à forte marge au détriment de petits modèles plus abordables dont les volumes de vente auraient permis de remplir les critères d’émissions de CO2 réclamés par l’Union européenne. En faisant le choix d’une rentabilité à court terme, ces constructeurs ne se sont pas donné les moyens d’accompagner l’inéluctable virage vers la voiture électrique, mettant en péril le sort de milliers de salariés.

La Commission européenne a adressé une fin de non-recevoir à la demande de report des échéances. Bruxelles a d’autant plus raison de ne pas dévier de la trajectoire qu’elle s’est fixée que les constructeurs qui ont fait l’effort de se mettre en conformité avec les nouvelles normes n’ont pas à être lésés. Par ailleurs, selon plusieurs experts, le creux du marché actuel n’est que transitoire. Les ventes repartiront dès que davantage de modèles plus abordables seront disponibles.

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Cette polémique ne fait que contribuer à entretenir le mythe que le véhicule électrique serait une erreur conduisant à un accident industriel majeur. Or, face à l’enjeu climatique, cette transition constitue la moins mauvaise des solutions. La façon dont la Chine l’a abordée démontre à l’envi qu’elle n’était en rien vouée à l’échec. Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Cela vaut aussi pour l’industrie automobile.

Le Monde

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