Un beau jour ou un autre, le sol devient trop bas pour le dos. Inéluctable vieillissement du corps ; qui que l’on soit, qui que l’on ait été. Brigitte confie au Monde ne pas penser à la sienne, de vieillesse. « Elle m’a coulé dessus, jour après jour, sans que ça me préoccupe. J’en sais rien si je suis vieille, moi, et je ne veux pas le savoir. Je continue à vivre dans la mesure de mes possibilités. Je ne peux pas me baisser, parce que mes os craquent. Ça, c’est emmerdant, mais c’est pas pratique surtout. Je m’en fous, il y a pire que moi. Il y a des gens qui ont des trucs épouvantables. Moi, j’ai de la veine. En plus, je me tiens droite. »

Fin septembre, Brigitte, dite « BB », a 90 ans. Considérant « avoir d’autres problèmes », elle « ne passe pas [s]a vie à [s]e regarder dans le miroir pour compter [s]es rides ou [s]es cheveux blancs ». Toutefois, lorsqu’il est interrogé, l’objet reflète « peu de rides », et cela tient au fait de ne « jamais se barbouiller de crème antirides ». Quant aux cheveux, BB connaît et dit sa chance de « les avoir très longs jusqu’aux fesses », restés « essentiellement de [s]a couleur d’origine, châtain clair, parsemée de mèches blanches ». Un mètre cinquante de « chevelure extraordinaire » qu’elle lave « toute seule » dans le lavabo. « Ce n’est pas douloureux, mais c’est un boulot ! »

« Je vais vous dire, je ne me plains jamais. Mes os me jouent des tours et me privent de déplacements, sauf avec mes deux cannes anglaises, mais je me débrouille très bien avec ce qu’ils me font subir. D’abord, quand on se plaint, ça fait chier tout le monde, et puis ça n’arrange pas les douleurs. Alors je ne me plains jamais, et je vis normalement, comme quand j’étais plus jeune, mais avec des handicaps. »

BB dit sans détour avoir gardé « le même esprit qu’avant, il est resté très jeune ». « Je n’ai pas changé, je suis très spéciale dans mes jugements, dans ma façon de voir les choses. Je suis très, très… je perds mes mots, tiens… il y en a que je n’arrive pas à récupérer, mais c’est pas grave, j’en ai d’autres. » Elle rit.

« Paresseuse, je n’arrête pas de travailler »

Avant de l’entendre rire, nous avons lu son écriture ronde dans une lettre qu’elle nous a adressée, après une première demande d’échange. L’en-tête en lettres capitales annonçait la couleur : « FAUT PAS POUSSER MÉMÈRE DANS LES ORTIES. » Après l’épistolaire vint la voix, au bout du téléphone, seul lieu possible de rencontre avec Brigitte, qui ne reçoit pas. Là, l’intonation, la respiration, le cœur qui parle, la pudeur qui retient, et puis le rire pour ponctuer.

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