L’examen au Sénat de la réforme controversée du pouvoir judiciaire voulue par le président sortant Andrés Manuel Lopez Obrador a été suspendue mardi 10 septembre par le président de la Chambre haute après l’irruption d’une centaine de manifestants dans l’hémicycle.
Réunis depuis plusieurs heures aux abords du bâtiment législatif, les manifestants ont soudainement franchi les barrières de sécurité et ont fait irruption d’abord sur le balcon, puis dans l’Hémicycle, forçant le président du Sénat Gerardo Fernandez Norona (majorité présidentielle) à annoncer la session « ajournée », puis à rapporter que les sénateurs allaient siéger ailleurs.
Parmi les manifestants, des fonctionnaires judiciaires en grève et des étudiants en droit scandaient « sénateurs, arrêtez le dictateur » et « le pouvoir judiciaire ne tombera pas », en brandissant un immense drapeau mexicain.
Adoptée la semaine dernière par les députés dans un gymnase, sous des paniers de basketball, après le blocage de la Chambre basse par des manifestants, la réforme constitutionnelle prévoit l’élection des juges – y compris ceux de la Cour suprême – et des magistrats par un « vote populaire ».
Cette réforme, qui serait une première mondiale, génère de fortes tensions avec Washington, premier partenaire commercial du pays, et dans le pays, où se déroulent des manifestations quotidiennes depuis plusieurs semaines.
Le chef d’Etat mexicain, qui sera remplacé par la présidente élue Claudia Sheinbaum, issue du même parti, le 1ᵉʳ octobre, soutient que la justice mexicaine est corrompue et ne sert que les intérêts économiques des élites, alors que plus de 90 % des crimes restent impunis au Mexique selon les ONG.
Si la réforme est passée sans encombre à la Chambre basse, où les députés de la coalition au pouvoir sont ultra-majoritaires, il manquerait une voix au parti présidentiel et ses alliés pour adopter la réforme au Sénat. Les partis d’opposition, le PAN, le PRI et le Mouvement citoyen ont déclaré qu’ils voteraient contre. « Nous l’avons déjà dit et nous le répétons : nous nous battrons jusqu’au bout pour empêcher cet outrage à la République et à la démocratie », a écrit la sénatrice du Mouvement citoyen, Alejandra Barrales. Les opposants à la réforme estiment ainsi qu’elle fragilisera l’indépendance des juges et les rendra vulnérables aux pressions du crime organisé.
« La démolition du système judiciaire n’est pas la voie à suivre », a averti la présidente de la Cour suprême Norma Pina, dans une vidéo diffusée dimanche sur les réseaux sociaux.
Un « risque » pour la démocratie mexicaine selon Washington
M. Lopez Obrador, qui a souvent critiqué la Haute cour pour avoir freiné plusieurs de ses réformes, a mis en garde Norma Pina contre une éventuelle tentative de blocage, qui constituerait selon lui une « violation flagrante » de la Constitution. « Ce qui inquiète le plus ceux qui sont contre cette réforme, c’est qu’ils vont perdre leurs privilèges, car le pouvoir judiciaire est au service des puissants (…) et de la criminalité en col blanc », a déclaré mardi M. Lopez Obrador, dont la popularité avoisine les 70 %.
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Les Etats-Unis, principaux partenaires commerciaux du Mexique, voient dans la réforme un « risque » pour la démocratie mexicaine et « une menace » pour les relations commerciales bilatérales, alors que le Mexique a supplanté la Chine en tant que premier partenaire commercial de son voisin du Nord.
Selon des experts, les inquiétudes des investisseurs autour de ce projet de loi ont contribué à une forte baisse du peso, qui a atteint la semaine dernière son niveau le plus bas en deux ans par rapport au dollar.
Cela est la conséquence de « facteurs externes », a répondu M. Lopez Obrador lundi. « Il est urgent d’assainir [le système judiciaire] dans l’intérêt de tous, y compris [de ceux] qui investissent au Mexique. »
Le gouvernement mexicain a dénoncé une « ingérence » des Etats-Unis dans ses affaires internes et décrété fin août une pause dans la relation avec l’ambassadeur des Etats-Unis au Mexique Ken Salazar, qui a plusieurs fois critiqué publiquement la réforme.
Margaret Satterthwaite, rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats des Nations unies, a fait part de son côté de ses « profondes inquiétudes ». « En l’absence de garanties solides contre l’infiltration du crime organisé [dans le processus de sélection des juges], un système électoral peut devenir vulnérable à des forces aussi puissantes », a-t-elle dit lundi soir à l’Agence France-Presse.