Dans les pays pauvres comme dans les Etats développés, la question de l’immigration constitue un véritable enjeu social, démographique, économique et sociétal. La France n’échappe pas à la règle. Si les responsables politiques ne peuvent faire abstraction de la perception qu’en ont les citoyens, c’est d’abord à l’aune des réalités, complexes et diverses, qu’ils doivent raisonner et décider.
Ainsi débattre de l’immigration en France en s’appuyant sur la situation hors norme de Mayotte, comme le fait depuis des années le Rassemblement national, relève-t-il de l’absurdité et de la manipulation politique. C’est pourtant ce qu’ont fait les députés en adoptant, jeudi 6 février, une proposition de loi portée par la droite et l’extrême droite et soutenue par le gouvernement réformant le droit du sol dans ce département de l’océan Indien. Un texte considéré par ses promoteurs comme un premier pas vers une remise en question du droit du sol sur l’ensemble du territoire.
Depuis une loi Collomb de 2018, une dérogation à la législation nationale restreint la possibilité de devenir français à la naissance pour les enfants nés à Mayotte de deux parents étrangers. Ce texte exige que l’un des parents ait, au jour de la naissance, été présent de façon régulière en France depuis trois mois. La proposition de loi introduite par Les Républicains élargit cette exigence aux deux parents et étend à un an la durée de la présence régulière. Jeudi, dans la confusion, des députés de gauche ont voté par inadvertance un amendement d’extrême droite qui l’allonge même à trois ans.
Confusion
Or le texte de 2018, jamais évalué, ne semble pas avoir eu d’effet sur l’immigration. Depuis son adoption, le nombre d’enfants nés à Mayotte de parents étrangers n’a cessé d’augmenter. La population a doublé en vingt ans, et les trois quarts des naissances viennent de femmes étrangères.
Les causes de cette configuration hors du commun sont connues : un simple bras de mer sépare le département français des Comores, l’un des Etats les plus pauvres du monde, géré par un régime autoritaire et corrompu. Cette situation, issue d’une décolonisation manquée, opère à la manière d’un puissant aimant pour l’immigration. L’afflux de femmes fuyant la misère aux Comores et qui accouchent à Mayotte aggrave les déséquilibres sociaux immenses, encore alourdis depuis le cyclone Chido, en décembre 2024.
Mais qui peut croire que des obstacles à la future acquisition de la nationalité française par un enfant à naître – possible seulement à partir de l’âge de treize ans – peuvent dissuader celles qui sont en quête d’une vie meilleure ? La dramatique équation de Mayotte relève de discussions géopolitiques et de politiques sociales, non de mesures juridiques sur la nationalité.
François Bayrou lui-même a alimenté la confusion en se référant à l’archipel pour évoquer la question migratoire en général. Il a instrumentalisé ce sujet en parlant de « sentiment de submersion », empruntant le vocabulaire de l’extrême droite. M. Bayrou a certes exclu d’étendre à la métropole la réforme du droit du sol adoptée pour Mayotte. Mais, en appelant de ses vœux, vendredi 7 février sur RMC, « un débat public plus large » sur l’appartenance à la communauté nationale, il tombe dans le double piège qui consiste à considérer Mayotte comme un laboratoire et à confondre politique d’immigration et « identité nationale ». Avec pour corollaire le risque de mener à l’inacceptable : le démantèlement du droit du sol, principe qui, depuis 1889, fonde le système républicain d’intégration basé sur la naissance, une certaine durée de présence et la scolarisation des enfants d’étrangers.