Cet unicellulaire est extravagant. Il a suffi à Manu Prakash, professeur de bio-ingénierie à l’université Stanford, de le voir une fois pour être « fasciné à jamais ». Il faut dire que Lacrymaria olor joue dans une catégorie à part. En quelques secondes, il sort de son corps en forme de goutte d’eau (d’où son nom) de 40 microns un cou de… 1 500 microns. Un peu comme si un humain de 1,80 mètre pouvait déployer sa tête à 67 mètres.

Avec son collègue Eliott Flaum, le biophysicien a dévoilé dans Science, le 7 juin, le secret de ce cilié : une structure jusque-là jamais observée dans le monde vivant, mais connue chez les amoureux des origamis sous le nom de Yoshimura. Il s’agit d’un pliage à base de triangle qui permet d’étendre l’ensemble d’un cylindre sans étirer chaque élément. Mieux : le déploiement comme la rétraction ne peuvent se faire que d’une unique façon, permettant à l’unicellulaire de résister aux quelque 20 000 extensions – et retours – réalisées au cours d’une vie.

Une « singularité » mathématique

Grâce à un complexe travail d’imagerie, les deux chercheurs ont d’abord mis en évidence les filaments du cytosquelette de l’unicellulaire. Ces microtubules structurent la membrane cellulaire de façon à lui permettre de se replier en plusieurs couches vers l’intérieur lorsqu’elle est au repos. Mais que la créature vienne à cibler une proie et l’accordéon se déploie, se déploie, se déploie… Les Californiens ont étudié la complexe géométrie mise en jeu dans cette structure et mis en évidence une « singularité » mathématique, à savoir des points où la structure est à la fois pliée et dépliée.

Cette organisation offre l’avantage de pouvoir concentrer une quantité gigantesque du squelette, et donc de le déployer quand cela est nécessaire. Mais aussi d’éviter extensions inutiles et pliages intempestifs. Tous ceux qui ont manié des cartes géographiques en papier et pesté de les voir se déchirer si rapidement comprendront. Manu Prakash ne semble pas envisager une déclinaison cartographique à sa découverte. En revanche, ce « déploiement à toute petite échelle » pourrait trouver une application dans les télescopes spatiaux ou les robots chirurgicaux. Les unicellulaires et les plieurs de papier traditionnels ont décidément beaucoup à nous apprendre.

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