Parmi les questions que pose l’émergence de l’intelligence artificielle (IA) dans nos sociétés, celle de sa compatibilité avec la décarbonation devrait être une préoccupation majeure. Pendant des siècles, l’humanité ne s’est guère souciée de l’impact de l’innovation technologique sur son environnement. La contribution à la croissance économique et à la prospérité suffisait à placer au second plan la finitude des ressources et les externalités potentielles sur l’humain et la nature.

L’IA, annoncée comme une révolution majeure, est en passe d’aggraver ces erreurs du passé. La rapidité avec laquelle se diffuse cette technologie, la multiplication de ses usages et surtout les quantités astronomiques d’énergie nécessaires à son fonctionnement imposent une réflexion urgente sur la durabilité de son expansion.

Dans un rapport publié mercredi 1er octobre, le Shift Project, un groupe de réflexion présidé par Jean-Marc Jancovici, dresse un constat alarmant. Selon ses calculs, la consommation électrique des centres de données, ces gigantesques hangars où tournent en permanence des centaines de serveurs informatiques, devrait tripler d’ici à 2030. L’IA représentera entre le tiers et la moitié de ce total, contre seulement 15 % aujourd’hui. Cette trajectoire n’est pas soutenable.

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La frénésie d’investissements à travers le monde pour installer de nouvelles capacités de stockage va augmenter les émissions de gaz à effet de serre, au moment même où les autres secteurs de l’économie tentent de les réduire pour atteindre les objectifs fixés dans le cadre de l’accord de Paris. Cette incongruité climatique s’explique par le fait que, notamment aux Etats-Unis, l’électricité soit fabriquée pour l’essentiel à partir d’énergies fossiles émettrices de CO2. Le coup d’arrêt porté par Donald Trump aux énergies renouvelables et les délais nécessaires pour développer de nouveaux réacteurs nucléaires laissent peu d’espoir à moyen terme de réduire l’empreinte carbone des géants du secteur.

Un centre de données OpenAI en construction à Abilene, au Texas, le 23 septembre 2025.

Et, quand l’électricité est décarbonée (nucléaire, éolien, solaire, hydraulique), comme dans le cas de la France, l’explosion de la consommation due à l’IA risque de donner lieu à des conflits d’usage au détriment d’autres secteurs, qui n’ont d’autre choix que l’électrification pour réduire leurs émissions de CO2. Si les centres de données captent l’essentiel de la croissance d’une production électrique verte qui aura du mal à suivre la demande, les prix augmenteront et la trajectoire de décarbonation pourrait être remise en cause.

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Le « technosolutionnisme » consistant à faire croire que l’IA permettra d’obtenir suffisamment de gains énergétiques pour rendre le processus durable est un leurre. L’augmentation exponentielle des usages est telle qu’il est peu probable qu’elle soit compensée par l’amélioration de l’efficacité grâce à l’innovation.

Le Shift Project a le mérite de poser le débat sur la place de l’IA dans la décarbonation. Il propose notamment de fixer des plafonds de consommation d’électricité et d’étudier les usages « au cas par cas », en privilégiant ceux jugés prioritaires. Cette demande de régulation est souhaitable sur le plan écologique. Elle risque toutefois de se heurter à une logique économique, sous forme d’une compétition sans foi ni loi pour attirer les investissements dans une technologie qui s’annonce vitale en matière de souveraineté. Il est malheureusement peu probable que Donald Trump et Xi Jinping soient sensibles à cet appel à la sobriété.

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Le Monde

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