« Tir tendu », « En pleine tête », « Dans les couilles ». Puis des rires, une gouaille de caserne, des injonctions guerrières. Ces phrases jaillissent des caméras-piétons de gendarmes lors de l’opération de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) et déchirent le rideau. L’image montre, le son condamne. On ne parle plus ici de bavures ou de moutons noirs : l’oreille révèle un monde. Les enregistrements dévoilent des ordres prohibés répétés et une jubilation à blesser qui anéantissent toute notion de légitime défense, toute notion de nécessité ou de proportionnalité.
A l’arrière-plan, la hiérarchie réclame les tirs tendus ; au premier plan, des heures d’images laissent voir des manifestants violents ou non violents, offensifs ou secourants, devenir gibier. Dans l’effervescence d’une impunité manifestement tenue pour acquise, les gendarmes, comme au ball-trap, célèbrent les tirs qui font mouche.
Ce dévoilement est une épiphanie. Le pouvoir veut montrer sa maîtrise du désordre, les caméras dévoilent la décomposition de l’ordre. Dans nos démocraties théâtrocratiques, pour reprendre l’anthropologue Georges Balandier, l’autorité prospère tant qu’elle règle la lumière et l’ombre. Mais aujourd’hui, « The whole world is filming » (« tout le monde filme ») : l’image et le son déjouent le théâtre du pouvoir. La manifestation, naguère irruption du peuple, révèle un appareil nu, démasqué.
Ces enregistrements révèlent trois choses : la brutalisation, la bêtise et le mensonge. Brutalisation lorsque la violence devient réflexe. Bêtise lorsque l’on confond jeu vidéo et action publique : les gendarmes s’enorgueillissent d’un tir, s’ébrouent en meute, oublient ce que signifie servir dans une démocratie. Rien n’indique un emballement isolé : tout désigne une culture de bande où la violence vaut appartenance et où l’encadrement regarde ailleurs.
Vient ensuite le mensonge, double et commode. Mensonge par dissimulation quand les procès-verbaux d’exploitation transmis à l’autorité judiciaire taisent une large partie de ce que les vidéos donnent à voir ou lorsque l’enquête administrative demandée quelques jours après les faits par le ministre de l’intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, ne porte que sur deux tirs – ceux effectués depuis les quads. Mensonge délibéré lorsque des responsables jurent qu’aucune instruction fautive n’a été donnée alors que dans neuf escadrons sur quinze, les gradés demandent des tirs tendus à leurs subordonnés.
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