Encerclés par les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), les habitants d’Al-Sigheia avaient trois options pour échapper à leurs assaillants. La première : se jeter dans le Nil au risque de se noyer. La deuxième : se faufiler dans la nuit à travers les champs qui bordent cette petite localité de la Gezira, une région agricole située au sud-est de Khartoum, la capitale du Soudan. La troisième : se calfeutrer chez soi en espérant ne pas être tabassé, violé ou tué alors que les miliciens mettaient à sac le village.
Après trois jours de siège, Abu Zeid Mudassir, 22 ans, a opté pour la deuxième solution. « Les soldats avaient installé une mitrailleuse sur le toit de l’école. Ils tiraient à vue, même sur les habitants qui sortaient de la mosquée », se souvient-il. Le 24 octobre à l’aube, le jeune homme s’est enfui avec sa famille à travers la campagne, parcourant plus de cinquante kilomètres à pied, dormant à même le sol, caché au milieu des épis de maïs.
Al-Sigheia, Rufaa, Tamboul, Al-Sariha, Al-Hilaliya… Les unes après les autres, plus d’une centaine de villes et bourgades de la Gezira ont été prises d’assaut par les FSR, dirigées par le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ». Entre le 20 octobre et le 10 novembre, au moins 1 245 civils ont été tués dans la région, selon des estimations recoupées par Le Monde, et deux à trois fois plus de personnes ont été blessées.
Expéditions punitives
A l’origine du carnage, il y a la trahison d’un homme. Le 20 octobre, Abu Agla Keikal, commandant des FSR dans l’est de la Gezira, s’est rangé aux côtés des Forces armées soudanaises (FAS), du général Abdel Fattah Al-Bourhane, alors que depuis fin septembre, ces dernières semblent reprendre l’avantage sur le champ de bataille, dans la capitale et sur plusieurs fronts dans l’est du pays.
Quand l’armée régulière s’est empressée d’annoncer le ralliement d’Abu Agla Keikal et de ses troupes, estimées à 400 soldats, les habitants ont d’abord célébré la nouvelle, pensant être libérés du joug des paramilitaires qui régnaient d’une main de fer sur la Gezira depuis décembre 2023. Leur joie fut de courte de durée. Les forces du commandant Keikal, qui avaient jusque-là permis de limiter les exactions des FSR à l’est du Nil, se sont soudainement retirées, laissant les populations sans défense.
En représailles à cette défection humiliante, les milices paramilitaires ont multiplié les expéditions punitives au prétexte de traquer les collaborateurs de l’armée. Cette campagne de vengeance massive, ciblant principalement les membres de la tribu Shukriya – dont est issu le déserteur –, s’est rapidement muée en razzia assortie de massacres et de déplacements forcés sans que l’armée régulière, postée aux abords de la région, ne réagisse.
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