La revue des revues. Saviez-vous qu’à l’université de Tokyo, Hideo Iwasaki, professeur de biologie, organise chaque année des cérémonies shintoïstes en hommage aux bactéries sacrifiées à des fins de recherche expérimentale ? Qu’en 2019, une statue à la gloire de Félicette, première chatte astronaute au monde (en 1963), a été érigée près de Strasbourg ? Qu’à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), une « cellule d’actions rituelles » honorant, entre autres créatures, les tritons crêtés, espèce protégée du site, a été instaurée ?

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Malgré leur aspect, au demeurant extravagant, ces initiatives dénotent un changement de paradigme dans nos sociétés, où le vivant cesse d’être considéré comme une réserve de ressources sur laquelle notre espèce aurait tous les droits. C’est à la découverte de ces nouvelles pratiques que cette passionnante livraison de la revue Terrain, semestriel d’anthropologie et de sciences humaines, nous entraîne, au fil d’une douzaine de contributions richement documentées et illustrées.

Coordinateurs du volume, Pierre-Olivier Dittmar (EHESS) et Vanessa Manceron (CNRS) mettent en exergue combien ces nouvelles ritualités animales bouleversent le cadre dans lequel la pensée chrétienne avait placé les bêtes, réduites à une pure matière. Ce faisant, le christianisme se trouvait en porte-à-faux avec les cultures juive et gréco-romaine : « En rejetant le sacrifice sanglant païen et les interdits alimentaires juifs, écrivent les auteurs, la nouvelle religion écarte l’animal en chair et en os de la sphère du rituel. » Animaux et humains ne forment plus une « même société », affirmait ainsi saint Augustin, au IVe siècle.

Une « communauté de destin »

Aujourd’hui, dans ces cultes d’un autre genre nés de l’essor de la sensibilité animaliste, « les animaux ne sont plus des intermédiaires avec les dieux, mais les acteurs et les destinataires d’une action collective, soulignent les chercheurs, parce qu’ils partagent avec les humains une communauté de destin ». Agrégée de sciences de la vie et de la Terre, Fabienne Gallaire retrace par exemple l’émergence, dans l’espace public, de monuments célébrant le talent ou le sacrifice de chiens, d’oiseaux ou de chevaux héros de la guerre ou de la science – telle la statue dédiée aux « 20 000 pigeons morts pour la patrie » pendant la première guerre mondiale, érigée au zoo de Lille, en 1936.

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