C’est une petite forêt de quelques kilomètres carrés, nichée le long du Ciron, au creux de gorges karstiques, dans le sud de la Gironde. Par endroits, les arbres y forment une voûte végétale continue au-dessus de la rivière, un affluent de la Garonne. Avec un peu de chance et beaucoup de discrétion, on peut y observer des espèces rares et menacées comme le vison d’Europe.

Dans ce cadre bucolique se dissimule un trésor biologique multimillénaire : une hêtraie singulière, dont les scientifiques n’ont pas encore compris tous les secrets ni l’étendue de l’influence. Elle est pourtant menacée. La protection de la forêt du Ciron est un des motifs de la mobilisation des opposants à la ligne ferroviaire à grande vitesse (LGV) entre Bordeaux et Toulouse qui ont manifesté, samedi 12 octobre, à Lerm-et-Musset, une commune bordée par la rivière. Le projet ferroviaire nécessite en effet la construction de plusieurs franchissements de la vallée au cœur de laquelle se trouve la précieuse forêt.

Pour Alexis Ducousso, le mystère a surgi au détour d’une banale promenade le long du Ciron. En 1993, alors chercheur à l’Inra (devenu Inrae, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, en 2020), le scientifique picard tombe par hasard sur des hêtres au bord de l’eau, à Pompéjac. Une bizarrerie pour ce spécialiste de génétique forestière : « Ils n’avaient rien à faire ici en théorie », explique-t-il. Le hêtre est commun dans le quart nord-est de l’Hexagone et en Normandie. Dans le Sud-Ouest, Fagus sylvatica est en revanche inexistant, hormis quelques stations très localisées, et sur les pentes des montagnes où il peut trouver la fraîcheur indispensable à son épanouissement.

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La surprise d’Alexis Ducousso se transforme bientôt en terrain d’étude. Près de vingt ans plus tard, la découverte d’un charbon de bois fossilisé dans la commune voisine de Bernos-Beaulac viendra donner encore plus d’ampleur à sa trouvaille : la datation au carbone 14 révèle que l’essence survit sur les rives du Ciron depuis quarante-trois mille ans, faisant de cette hêtraie l’une des plus anciennes forêts françaises. Les arbres qui la composent sont les lointains descendants de ligneux ayant trouvé refuge au creux des gorges en pleine période glaciaire, on parle dans ce cas d’espèce relicte.

Dépérissement

S’ils ont survécu à des millénaires de variations climatiques, les résidents de la forêt du Ciron sont en revanche à la merci d’autres bouleversements. Vus du ciel, les feuillus qui vivent sur les bords de la rivière, hêtres donc, mais aussi chênes et tilleuls, forment une étroite bande cernée de part et d’autre par la sylviculture intensive du pin maritime, archidominante dans les landes de Gascogne.

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