Dans les territoires en guerre ou sous les régimes dictatoriaux, les journalistes et les humanitaires sont plus souvent qu’à leur tour menacés, enlevés, arrêtés, parfois assassinés, ou plus banalement empêchés de faire leur métier. Mais le cas de Victor Dupont, doctorant à Aix-Marseille Université, arrêté le 19 octobre en Tunisie – alors qu’il y faisait sa thèse sur les rapports au politique des jeunes diplômés – et traduit devant un tribunal militaire pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », a rendu visible une tendance qui alarme la communauté des chercheurs en sciences sociales : les libertés académiques sont de plus en plus menacées dans un monde où s’accroissent les tensions géopolitiques et la mainmise de pouvoirs politiques autoritaires. Le statut des chercheurs, sa neutralité scientifique et le prestige des universités qui les envoient protègent de moins en moins leur intégrité physique, morale et professionnelle.
Il y a bien sûr de nombreux précédents, depuis la mort en captivité en 1986 au Liban de Michel Seurat, sociologue au CNRS enlevé en 1985. La détention de la politiste franco-iranienne Fariba Adelkhah en Iran, de 2019 à 2023, la condamnation le 14 octobre à trois ans de prison en Russie du chercheur français Laurent Vinatier, spécialiste du Caucase, sont des exemples plus récents.
Mais la question est devenue suffisamment sensible pour que les chercheurs… en fassent un objet de recherche : le 30 mars 2023, l’Association française de science politique et l’Association française de sociologie ont créé ensemble un Observatoire des atteintes à la liberté académique, dont le but est de recenser les cas, d’alerter médias et autorités nationales, d’assister les victimes, de sensibiliser la profession aux risques ; une journée d’études intitulée « La liberté académique à l’épreuve des enjeux contemporains » se tient à Sciences Po Lille jeudi 14 novembre ; les Presses universitaires du Septentrion viennent de publier un ouvrage collectif Enquêter en terrain sensible. Risques et défis méthodologiques dans les études internationales (312 pages, 24 euros), présenté le 8 novembre à Sciences Po Paris. Neuf chapitres relatent vingt expériences de terrain où les chercheurs décrivent non seulement les contraintes subies, mais aussi les méthodes utilisées pour y faire face, ou encore les cas de conscience qui se posent à eux lorsqu’il s’agit de concilier leur sécurité, ou celle des acteurs qu’ils rencontrent, avec les nécessités de leur recherche et la liberté de leur propos.
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