Deux mille trois cent quatre-vingt-neuf postes supprimés chez Auchan, 1 250 chez Michelin, 868 chez Valeo, 135 chez Arcelor… Depuis plusieurs semaines, les plans sociaux se multiplient en raison de la conjoncture médiocre et de la crise industrielle majeure que traverse l’Europe – avec en première ligne le secteur automobile, en pleine mutation vers l’électrique, dont le modèle économique est profondément ébranlé par la concurrence chinoise. Mais ces annonces ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Car, au-delà des grands groupes, les licenciements augmentent à bas bruit dans les petites et moyennes entreprises sur tout le territoire : le nombre de procédures collectives est au plus haut depuis quinze ans (65 000 attendues fin 2024) et celui des faillites a bondi de 20 % en un an (52 214) depuis janvier. Parmi ces dernières, aucun secteur n’est épargné : entreprises de la construction, du commerce, du secteur de l’hébergement et de la restauration…
Plus de 160 000 emplois sont aujourd’hui menacés, estime le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires. En incluant les emplois directs, indirects et induits, ce chiffre pourrait dépasser les 200 000, selon les calculs de la CGT. Soit autant d’hommes, de femmes, de familles qui doivent encaisser le choc de l’annonce, confrontés à la question vertigineuse de l’après. Et avant cela, à celle, pressante, des factures à acquitter et du frigo à remplir. « J’ai failli péter les plombs en apprenant la nouvelle » ; « j’ai l’impression qu’on m’arrache une partie de moi-même », racontent ces salariés sur le carreau. Certains confient aussi éprouver de la colère, « et même de la haine », contre leur ex-employeur. Leurs témoignages racontent mieux que les chiffres la crise économique dans laquelle s’enfonce la France.
« Ce qui me fait peur, c’est l’après, le silence »
Morgane Royer, 31 ans, travaille à l’atelier Z chez Michelin, à Cholet (Maine-et-Loire). Le géant français du pneu a annoncé, le 5 novembre, la fermeture, au plus tard début 2026, de ses sites de Cholet (955 salariés) et de Vannes dans le Morbihan (299 salariés).
« On nous appelle “les mineurs” », s’amuse Morgane Royer en sortant son téléphone portable de sa poche. Apprêtée pour le rendez-vous, elle montre une photo d’elle tout sourire, mais le visage recouvert de noir de carbone, un ingrédient essentiel pour l’élaboration de la gomme des pneumatiques. Les particules fines s’infiltrent partout, tatouant la peau de ceux qui le manipulent. Et les voies respiratoires ne sont pas épargnées. L’atelier Z, où elle travaille, c’est la zone la plus sale de l’usine, un milieu d’hommes où elle a débarqué à tout juste 20 ans « avec les cheveux jusqu’aux fesses et du vernis sur les ongles ».
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