En gros, on peut distinguer trois groupes de médias.

1. Un gros bloc mainstream qui ignorait jusqu’à récemment le massacre (ou le minimisait, rendant le Hamas entièrement responsable) mais critiquait la conduite de la guerre, Nétanyahou et sa corruption, les agissements de colons en Cisjordanie.

2. Un bloc d’extrême droite (Channel 14 [C14], Israel Hayom, et aussi beaucoup les réseaux sociaux), qu’on comparera à Fox ou CNews en France : beaucoup d’opinions, violentes, un racisme ouvert, très peu de reportages, et surtout aucun concernant les Palestiniens. Ceux-là critiquent le bloc mainstream qu’ils trouvent propalestinien, auquel ils reprochaient dans un sondage de début juin de donner trop de place à Gaza (ce qui ne manque pas de sel).

3. Enfin, le petit bloc très cité en dehors d’Israël, surtout Haaretz et le magazine en ligne 972 qui ont leur version anglaise. Ils ont une singularité commune : ils emploient un nombre significatif de journalistes palestiniens (d’Israël), qui ont donc massivement accès aux sources en arabe. Et ils couvrent en détail, depuis le début pour 972 (Haaretz s’y est mis plus lentement), le massacre de Gaza (972 a dit tôt « génocide »), le désastre du système mis en place par la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), l’insuffisance totale de l’aide humanitaire, les camions qu’on ne laisse pas entrer… bref, ce que vous pouvez lire dans Le Monde, Libération, ou d’autres. Oui, ceux-là sont facilement considérés comme des « traîtres ». De surcroît, ils n’épargnent pas leurs collègues. Pour être précis, le point de vue de ces médias que beaucoup en Israël diront « d’extrême gauche » apparaît parfois dans des articles d’opinion des grands médias (comme YNet ou le site Walla).

Il faut nuancer ce tableau, car il y a des préoccupations qu’on va retrouver dans à peu près tous les médias, même si elles sont traitées différemment : l’antisémitisme (réel ou supposé) est très couvert, de longue date, en Israël. Et de fait, récemment, il y a eu des actes hostiles envers des Israéliens en dehors d’Israël, en nombre croissant. Par exemple, un bateau de touristes israéliens a dû être « re-routé » d’un port grec en raison d’une manifestation propalestinienne. Deux jeunes Israéliens ont été brutalisés à Rhodes. De C14 à Haaretz, ces faits-là, par exemple, ont été couverts. La différence peut se trouver dans l’explication et dans le volume de ces faits. A l’extrême droite, on hurle à l’antisémitisme à tout propos, on ne s’interroge jamais sur la causalité et sur ce qui nourrit cette hostilité envers des Israéliens. Channel 14 est la seule à couvrir certains faits dont l’interprétation peut être complexe. Si ça vous intéresse, cherchez « James O’Brien », « LBC », « London », « antisemitism », concernant un journaliste anglais qui s’est excusé d’avoir cité un message d’auditeur pouvant être interprété comme antisémite, peut-être – et la chaîne de titrer « antisémitisme sans précédent ».

Enfin, il faut sans cesse rappeler la présence des otages, en saturant l’espace public, les journaux, les sites, les grandes manifestations, mais aussi les ponts, les grandes avenues, les vidéos qu’on diffuse sur les lieux de travail (dans mon université à Tel-Aviv, par exemple), et le 7-Octobre, encore omniprésent dans l’actualité, avec des récits d’ex-otages, de leurs familles, des enquêtes sur le détail de l’attaque terroriste du Hamas. Les otages sont négligés seulement à l’extrême droite, jugés un obstacle bien sûr à la victoire et à la recolonisation de Gaza dont elle rêve. Mais c’est une exception. C’est une coupure importante, mais qui ne touche pas le sort des Gazaouis ou des Palestiniens de Cisjordanie.

Jérôme Bourdon (Historien des médias)

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