Au fil des décennies, la Cour européenne des droits de l’homme a traversé nombre de tempêtes et n’a jamais été épargnée par les critiques, notamment étatiques. Inévitable rançon du succès, diront certains. Toutefois, ces dernières années, la donne a changé. Les attaques visant la Cour de Strasbourg se font plus frontales et existentielles. A l’unisson d’un vent illibéral qui souffle sur toute la planète, chaque jour un peu plus fort.

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Dans ce contexte, la « lettre ouverte » cosignée le 22 mai par neuf chefs de gouvernement est un signal aussi inédit qu’alarmant. Pour la première fois, des dirigeants européens ont collectivement critiqué la jurisprudence de la Cour européenne et publiquement appelé à une évolution de « l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme » au sujet des ressortissants étrangers.

Une première lecture, politique, conduit à remarquer que cette lettre est née de l’initiative des premières ministres italienne et danoise – notoirement hostiles aux étrangers –, suivies par un ensemble assez hétéroclite de chefs de gouvernement (autrichien, belge, estonien, letton, lituanien, polonais et tchèque). La présence de certains s’explique par leur ancrage à l’extrême droite, d’autres par l’importance politique du sujet migratoire dans leurs Etats respectifs.

Garanties basiques

Mais c’est l’analyse juridique qui est la plus éclairante. Car les reproches faits à la Cour européenne sont-ils fondés ? En réalité, non.

Pour l’essentiel, les signataires de la lettre se plaignent que « l’interprétation de la Convention » aurait « posé trop de limites à la capacité des Etats » d’expulser des « étrangers criminels », auteurs par exemple « de crimes violents graves ou de crimes liés à la drogue ». Mais ils ne donnent strictement aucun exemple précis d’arrêt européen. Et pour cause.

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Quiconque prend la peine de lire les nombreuses décisions de la Cour européenne comprendra que les auteurs de crimes violents peuvent être expulsés, parfois en dépit d’une vie familiale au sein de l’Etat (pour des exemples récents : Savuran c. Danemark, 12 novembre 2024 ; I.B.A. c. Suisse, 26 novembre 2024). Et ce en écho à un principe constant de sa jurisprudence : « La Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d’entrer ou de résider dans un pays particulier, et, lorsqu’ils assument leur mission de maintien de l’ordre public, les Etats contractants ont la faculté d’expulser un étranger délinquant. »

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