A l’occasion de la parution du dernier « World Energy Outlook », le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol, s’est lancé dans un étrange exorde : « Dans l’histoire de l’énergie, nous avons connu l’âge du charbon et l’âge du pétrole, et nous entrons maintenant à grande vitesse dans l’âge de l’électricité, qui définira le système énergétique mondial à l’avenir. »

Ce n’est certes pas la première fois qu’un « âge électrique » est annoncé. L’expression figure déjà comme titre d’une revue en 1898. A cette époque, l’électricité nourrit une vision simpliste des dynamiques matérielles. Nombre de penseurs, fascinés par l’âge électrique, imaginent une disparition du charbon.

A la fin du XIXe siècle, le chimiste et ministre français Marcelin Berthelot expliquait qu’en l’an 2000 l’électricité et les énergies renouvelables auraient débarrassé le monde des « mines de charbon et par conséquent des grèves de mineurs » (« En l’an 2000 », in Science et morale, Calmann-Lévy, 1896).

Développement inégal des énergies renouvelables

Dans l’entre-deux-guerres, le sociologue et biologiste écossais Patrick Geddes (1854-1932) et l’historien américain Lewis Mumford (1895-1990) annonçaient le basculement imminent dans un âge « néotechnique », fondé sur l’hydroélectricité. Le réseau électrique allait accélérer, pensait-on, l’obsolescence du capitalisme et provoquer l’avènement d’une économie socialiste placée sous la bonne garde des ingénieurs.

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Mais, alors que certains clamaient l’avènement de l’âge électrique, les experts – et quiconque réfléchissant sérieusement au monde matériel – savaient cet espoir illusoire. La consommation de bois avait beaucoup crû au XIXe siècle, en partie à cause du charbon. Le XXe siècle, annoncé comme celui du pétrole et de l’électricité, brûlerait de plus en plus de charbon. Les calculs montraient aussi que l’hydroélectricité permettrait d’économiser la houille, mais n’allait certainement pas la remplacer.

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On retrouve ce décalage entre le rapport de l’AIE et les déclarations de son directeur. Le « World Energy Outlook » de 2024 montre que, malgré la croissance des renouvelables, la production électrique à partir de fossiles a encore crû en 2023. Le développement du solaire et de l’éolien reste inégal, important en Chine et en Europe, mais faible dans les pays pauvres qui en ont pourtant le plus besoin. L’objectif du doublement de l’efficacité énergétique d’ici à 2030 énoncé lors de la COP 28 paraît maintenant hors d’atteinte.

Les experts de l’AIE notent que l’essor des renouvelables, en réduisant la demande de pétrole et de gaz, et donc peut-être leur prix, pourrait ralentir l’incitation… à installer des renouvelables. Les investissements récents dans les terminaux gaziers laissent entrevoir une hausse de 50 % du gaz naturel liquéfié – une énergie particulièrement polluante – avant 2030.

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