Un vent mauvais souffle sur l’audiovisuel français. Il a redoublé à la suite de la mise en cause du professionnalisme et de l’intégrité de deux journalistes employés, pour l’un d’eux en partie, par le service public. Cette mise en cause, menée au mépris des règles élémentaires de la déontologie, a servi opportunément de carburant à un écosystème reposant principalement sur les médias rachetés et reformatés par le milliardaire breton Vincent Bolloré, lancé de longue date dans une attaque frontale contre un service public présenté comme politiquement biaisé.
La ministre de tutelle de l’audiovisuel, Rachida Dati, en multipliant les propos dévalorisants, préfère se joindre à la curée au lieu de le défendre et de mettre en avant ses réussites, comme les audiences record de Radio France. Face à cette campagne, la responsable d’un autre des piliers de ce service public de l’information a fini par réagir. Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions, a qualifié, dans un entretien au Monde, le fleuron de cet écosystème, la chaîne d’information CNews, de « média d’opinion » et de « chaîne d’extrême droite ».
Chacun doit être libre de se faire son propre jugement sur telle ou telle chaîne sur la base de ses contenus et de la récurrence des thématiques qu’elle choisit de mettre en avant. Mais il convient de rappeler que la mise à disposition d’un bien public, à savoir une fréquence hertzienne, ne va pas sans contreparties auxquelles une chaîne doit nécessairement souscrire pour en disposer.
Des précédents étrangers
Parmi ces impératifs figure le respect du pluralisme, dont le Conseil constitutionnel avait utilement rappelé, dans un arrêt rendu en 1986, qu’il constitue l’« une des conditions de la démocratie ». Le respect de ce pluralisme impose d’offrir des « programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractères différents ». Il vaut pour le secteur public, mais également pour le secteur privé, comme beaucoup font mine de l’oublier.

En février 2024, le Conseil d’Etat, saisi par l’association Reporters sans frontières, a réaffirmé ce principe en indiquant que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) doit prendre en compte, pour pouvoir juger de la diversité des courants de pensée et d’opinion représentés sur une chaîne, les propos de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris ceux des chroniqueurs, des animateurs et des invités, et plus seulement ceux des personnalités politiques – classées, elles, selon leur camp.
Trop de précédents étrangers disent ce que peut recouvrir une attaque en règle contre un service public de l’information par un courant politique sous le couvert de la lutte pour la liberté d’expression : un démantèlement suivi par la mise en place d’une parole monolithique. En France, la transformation des médias privés rachetés par Vincent Bolloré, traduite par la purge de leurs rédactions, a d’ailleurs suivi ce modèle.
La préservation de la diversité d’opinion à laquelle doit veiller l’Arcom, qui apparaît trop en retrait ces derniers mois, doit donc être la seule ligne à suivre en matière d’information. Elle est encore plus importante dans un monde façonné par des réseaux sociaux qui tendent à enfermer leurs usagers dans des silos, privés de contradictoire. Les médias qui composent notre secteur audiovisuel devraient avoir la protection de ce pluralisme pour priorité, et non des campagnes de dénigrement.