Funérailles de Boniface Kariuki, un marchand ambulant décédé des suites de ses blessures par balle quelques jours après avoir été abattu par la police kényane lors de manifestations antigouvernementales, dans un village près de Kangema, au nord de Nairobi, le 11 juillet 2025.

A peine arrivé au pouvoir en 2022, le président kényan, William Ruto, avait promis de mettre fin aux violences policières. Trois ans plus tard, confronté à un mouvement de contestation inédit, le chef de l’Etat donne son blanc-seing aux forces de l’ordre pour tirer dans les jambes des pillards.

Selon les organisations de défense des droits humains, plus de cent personnes ont été tuées depuis le début des rassemblements antigouvernementaux en 2024. Le 7 juillet a été la journée la plus meurtrière, avec au moins trente-huit morts, dont une fillette de 12 ans. M. Ruto avait pourtant, en 2023, un an après avoir démantelé une brigade de police accusée d’exécutions extrajudiciaires, fait « la promesse » d’y mettre fin. « Aucun Kényan ne mourra dans des circonstances que le gouvernement ne pourra expliquer », avait-il affirmé.

Aujourd’hui, le président adopte un ton ouvertement belliqueux face aux manifestants et défend les forces de l’ordre, tandis que les groupes de défense des droits humains dénoncent les violences policières et le recours à des voyous rémunérés pour discréditer le mouvement.

Le chef de l’Etat a de son côté affirmé que les manifestants voulaient « renverser » le gouvernement et a prévenu que les forces de l’ordre tireraient pour blesser tout pillard. « Quiconque met le feu aux commerces et aux biens d’autrui devrait recevoir une balle dans la jambe, être transporté à l’hôpital et traduit en justice », a-t-il déclaré.

« Le président pète les plombs »

Des propos qui ont provoqué la polémique dans le pays, rare démocratie stable dans une région troublée. « Le président pète les plombs », a écrit en une dans la foulée le quotidien The Standard, quand le People Daily déplorait que « le Kenya sombre dans la tyrannie ». « C’est un ordre de tirer pour tuer », a estimé auprès de l’Agence France-presse (AFP) Otsieno Namwaya, directeur associé pour l’Afrique de l’ONG Human Rights Watch.

« Nous sommes au bord du gouffre et le risque de connaître une période très violente (…) est très élevé », a déclaré Karuti Kanyinga, professeur à l’université de Nairobi. Pour ce spécialiste de la politique kényane, le chef de l’Etat « se prépare à entrer dans une phase plus dure et répressive de son régime ». M. Kanyinga fait un parallèle avec les années 1990, durant le règne autoritaire du président Daniel arap Moi (1978-2002).

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Les cas d’enlèvements – une caractéristique des années Moi – ont fortement augmenté. Les groupes de défense des droits humains estiment que plus de 80 personnes ont été enlevées par les forces de sécurité en un an. Le président kényan a affirmé qu’il n’y avait eu aucun enlèvement, puis a promis de mettre fin à toutes les disparitions et a affirmé que toutes les personnes enlevées avaient été « rendues à leurs familles ». Mais des dizaines de personnes n’ont toujours pas été retrouvées.

Et la rhétorique de l’entourage du président kényan est aussi montée d’un cran : le ministre de l’intérieur, Kipchumba Murkomen, a été filmé en juin en train de donner instruction aux forces de l’ordre de « tirer pour tuer ». S’il a ensuite affirmé que ses propos avaient été sortis de leur contexte, le président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale a été filmé jeudi, appelant sans complexe – et avec colère – à « tirer pour tuer » lors des manifestations.

« Dictature »

Le 7 juillet, journée de commémoration de Saba Saba – « sept, sept » en swahili, en référence au soulèvement prodémocratie du 7 juillet 1990 qui a conduit à la fin du système de parti unique durant le régime autocratique – a dégénéré en violences. Si certaines régions du pays sont restées calmes, la périphérie de Nairobi a été le théâtre d’affrontements entre des groupes de jeunes et la police, et de nombreux quartiers pauvres ont été pillés.

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Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU s’est dit « très perturbé » par les morts durant les rassemblements au Kenya et a rappelé que « selon le droit international des droits humains, les forces de l’ordre ne doivent recourir à la force létale, y compris les armes à feu, que lorsque cela est strictement nécessaire pour protéger des vies contre une menace imminente ».

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Malgré les demandes répétées, le palais présidentiel n’a pas donné suite aux sollicitations de l’AFP, renvoyant vers l’intégralité du discours de M. Ruto pour « comprendre le contexte ». Pour de nombreux défenseurs des droits humains, Saba Saba marque un tournant. « Ruto a défendu la police sans dire un mot pour les victimes », a déclaré Hussein Khalid. « La force est utilisée pour faire taire la dissidence, a-t-il poursuivi. C’est le b.a.-ba d’une dictature. »

Le Monde avec AFP

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