Destiné en 1958 par les concepteurs gaullistes de la Ve République à protéger l’exécutif contre des empiètements du Parlement, le Conseil constitutionnel a acquis, au fil des évolutions de sa jurisprudence et des pratiques du pouvoir, le statut de garant suprême des droits et libertés inscrits dans la Constitution. Clé de voûte de la démocratie française, c’est une institution particulièrement précieuse dans le contexte actuel, où se multiplient, en France, comme ailleurs en Europe et aux Etats-Unis, les attaques contre l’Etat de droit dont les neuf sages de la Rue de Montpensier sont les protecteurs.

C’est pourquoi les conditions dans lesquelles a été validée, mercredi 19 février, la candidature, proposée par Emmanuel Macron, de Richard Ferrand à la présidence de cette haute juridiction, apparaissent inquiétantes. Si la candidature de ce fidèle du président de la République a été approuvée par un vote au sein des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, il s’en est fallu d’une seule voix que la majorité qualifiée des trois cinquièmes qui aurait entravé le processus ne soit atteinte. L’extrême faiblesse de cette confirmation affaiblit le chef de l’Etat, déjà impopulaire selon les sondages.

M. Macron ne semble pas avoir mesuré le risque qu’il prenait en faisant le choix − hasardeux − d’un fidèle aux compétences juridiques limitées et à l’indépendance contestable. Le président de la République ne semble pas non plus avoir anticipé le piège politique qui s’est refermé, mercredi, sur l’une des plus hautes institutions de la République.

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Mal confirmé, Richard Ferrand aurait été écarté sans l’abstention des élus du Rassemblement national. En prenant cette décision à la dernière minute, Marine Le Pen lui a donné en quelque sorte un baiser empoisonné : les décisions du Conseil constitutionnel postérieures à son entrée en fonctions, le 8 mars, risquent d’être entachées du soupçon d’une influence de l’extrême droite. Déjà, les oppositions accusent le RN de complicité.

Le poison du soupçon

Alors que la nomination de l’arbitre suprême de la constitutionnalité devrait reposer sur les compétences juridiques, l’expérience et l’attachement indéfectible à l’Etat de droit, il est déplorable que le processus ait, cette fois, été utilisé comme support à des manœuvres politiciennes : celles de Laurent Wauquiez (hostile à M. Ferrand) s’opposant à Bruno Retailleau (qui en est solidaire en tant que ministre) pour la présidence du parti Les Républicains ; celles de Marine Le Pen instillant le poison du soupçon sur la confirmation de Richard Ferrand à l’approche du 31 mars, date prévue de la décision judiciaire dans l’affaire des assistants parlementaires du RN.

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Le Conseil constitutionnel présidé par M. Ferrand, à moins que Laurent Fabius ne s’en saisisse auparavant, devrait en effet statuer avant cette échéance sur une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’inéligibilité d’un élu de Mayotte, décision susceptible de peser sur le statut électoral de Mme Le Pen.

Le mauvais scénario de la désignation de Richard Ferrand devrait inciter à réformer le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel, en instaurant notamment un « délai de viduité » pour les ministres ou les membres du Parlement avant qu’ils puissent y accéder, ainsi que l’a suggéré son président sortant, Laurent Fabius. Mais il devrait d’abord conduire M. Ferrand à exercer la plus extrême vigilance à l’occasion des nombreuses décisions attendues de l’institution sur des sujets dont ne dépend rien de moins que la santé démocratique de la France.

Le Monde

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