Il y a une différence significative entre déception et désillusion. Celui qui se dit déçu acte qu’il a été trompé, que des promesses lui ont été faites qui n’ont pas été tenues. Il peut faire état de sa déception à celui qui en est la cause, l’accabler de reproches et, finalement, il peut lui tourner le dos. Le désillusionné, en revanche, ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour s’être mépris au sujet de la réalité. C’est pourquoi la désillusion contraint en général à de véritables révolutions mentales puis pratiques auxquelles, par définition, on n’est pas préparé.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France : « Israël gagne des batailles, mais est en train de perdre la guerre »

Le 7-Octobre n’a suscité aucune déception. Personne n’attendait mieux du Hamas que ce genre de massacre ; la faiblesse d’Israël a provoqué simplement de la sidération. En revanche, bien des illusions sont tombées, et c’est ce qui fait de l’événement un seuil historique. Or, un an après, l’ajustement mental à la nouvelle réalité est toujours en cours.

La plus matricielle de ces illusions perdues concerne Israël comme Etat gardien du peuple juif, capable par sa force militaire et de renseignement de prévenir toute attaque contre son territoire. C’est l’idée qu’il existe un abri pour tout juif dans le monde qui s’est avérée illusoire. Et aucune guerre d’Israël, pour victorieuse qu’elle puisse être, ne peut recouvrir alors cette vérité : la puissance seule ne suffit pas pour construire un refuge.

Bonne conscience morale

Depuis la deuxième Intifada [2000-2005] au moins, on s’est contenté, en Israël, dans la diaspora et plus généralement dans l’opinion occidentale, d’un cantonnement de la question palestinienne qui misait sur la force et faisait fi de la justice. Cette manière de « gérer » la situation puisait à des raisons différentes selon les perspectives. En Israël, c’est le sentiment, mille fois exprimé, qu’il n’y aurait pas de partenaire en face. Dans la diaspora, c’est l’insécurité croissante due aux violences antisémites qui a conduit à se contenter de la représentation d’Israël comme forteresse sans poser la question de sa justice. Quant à l’opinion occidentale, celle de l’Europe et des Etats-Unis, elle n’avait aucune envie d’y regarder de trop près tant que le calme, à défaut de la paix, était à peu près maintenu.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « Le 7-Octobre nous a fait repasser en mode survie » : en Israël, une société dans la peur et la confusion

Le 7 octobre 2023, les Israéliens ont découvert qu’il était illusoire de croire que la force pourrait contenir la force. Quelle conclusion en tirer, sinon la nécessité d’aider l’acteur palestinien à se construire comme un partenaire véritable dans un processus de paix durable, au lieu de miser sur sa division pour mieux régner ? La diaspora, quant à elle, ne peut pas ne pas se demander si son consentement à l’oubli de la justice « là-bas » constitue vraiment le meilleur rapport qu’elle puisse avoir à Israël, y compris sous sa face de refuge potentiel. Il lui faut changer complètement de regard sur cet Etat qui compte éminemment pour elle, et sur la manière dont il compte.

Il vous reste 53.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Share.
Exit mobile version