Elle l’aime tellement, son Gony, qu’elle s’est tatouée son nom sur le poignet droit. Sur le gauche, Angelina (le prénom a été modifié) a fait inscrire son propre diminutif, « Angie ». L’encre est encore fraîche, sa peau rougie par les piqûres de l’aiguille. L’adoles­cente, 16 ou 17 ans au plus, partage fièrement le résultat sur le réseau social TikTok, à grand renfort d’émojis cœur : « Tiamo amore mio. » La jeune fille a la beauté des stars de télé-réalité : blondeur artificielle, rouge à lèvres vif, sourcils teints au pinceau.

Sa vie défile sur TikTok dans une farandole de vidéos, sur fond de chants d’amour bosniens dégoulinants de mélancolie. Angie en vacances à Barcelone, fumant le narguilé. Angie avec sa petite sœur, complices. Angie devant la tour Eiffel avec son Gony, petit brun au visage poupin et à la moustache aussi fine qu’un duvet. Angie avec une liasse de billets de banque. Angie dans une grosse cylindrée lancée à 240 km/h sur l’autoroute. Angie avec un homme affichant un pistolet à la ceinture. Angie avec un autre, goguenard, brandissant deux marteaux comme on montre des armes prêtes à frapper…

Angelina n’est pas une adolescente comme les autres. Elle ne va pas au lycée. Dans sa famille, personne n’est scolarisé. Les H., un clan d’origine bosniaque, portent d’autres ambitions pour leurs – nombreux – enfants : voler. Dans le métro parisien, le RER, à Disneyland Paris, à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Des touristes étrangers de préférence, qui font le plein d’argent liquide à leur arrivée en France. Une main glissée discrètement dans un sac, un voyageur collé d’un peu près pour accéder à son portefeuille, et hop ! les pickpockets disparaissent dès que se referment les portes de la rame.

Le plus souvent, les voleurs sont des voleuses, dont l’apparence apprêtée n’a rien à voir avec la carica­ture de la Rom véhiculée par certains. Com­ment mieux se fondre dans la masse qu’en ­ressemblant aux filles de son âge ? Les bons jours, le clan peut amasser jusqu’à 5 000 euros de « revenus ». Une vie facile et légère, en apparence, bien qu’en dehors des clous. Sur les vidéos, Angelina se départ rarement de sa ceinture Gucci. Mais les réseaux sociaux sont la vitrine d’un bonheur de pacotille.

Organisation tentaculaire

La réalité se lit plutôt dans les motifs de mise en examen prononcés, en mars, contre six responsables du clan de Roberto H., duquel dépend Angelina : « vol en bande organisée », « blanchiment », « association de malfaiteurs », « traite d’êtres humains »… Ce mois-là, le réseau était décapité par la brigade de protection des mineurs, à la suite d’une vague d’interpellations concluant deux années d’enquête. Juste à temps pour que la fête des Jeux olympiques, qui a vu défiler à Paris des milliers de visiteurs tout l’été, ne soit pas gâchée par des mains trop lestes.

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