Ironie de l’histoire, la Pologne a pris la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE), mercredi 1er janvier, pour six mois, dans un contexte à la fois tragique et propice. La guerre russe qui dévaste l’Ukraine, aux portes de ce pays si souvent piétiné et dépecé par les puissances rivales, est devenue un sujet primordial pour l’Europe. Bien avant les Etats membres d’Europe de l’Ouest, restés sourds à ses avertissements, Varsovie avait perçu la menace. La Pologne joue aujourd’hui un rôle crucial dans la logistique de l’aide à l’Ukraine et travaille d’elle-même à fortifier sa frontière orientale, rempart de l’Europe contre le danger venu de l’est.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Le plan de la Pologne pour devenir le « bouclier oriental » de l’Europe

Dans la présidence tournante, la Pologne succède à la Hongrie, dont la performance n’a pas ébloui à Bruxelles, avec laquelle elle est actuellement en froid et qui, en creux, accentue le côté bon élève de l’Europe de l’équipe aujourd’hui au pouvoir à Varsovie. Le premier ministre, Donald Tusk, cumule les avantages d’avoir été président du Conseil européen, de 2014 à 2019, et d’appartenir au courant politique le plus important à la fois au Parlement européen et au sein du collège des commissaires, celui des chrétiens-démocrates du Parti populaire européen (PPE), dont est issue aussi la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.

Troisième atout, M. Tusk a nommé comme commissaire européen son ex-bras droit Piotr Serafin, pour lequel il a négocié le très stratégique portefeuille du budget. Fin politique, parfaitement roué aux arcanes communautaires, M. Serafin saura faire jouer l’influence polonaise à Bruxelles.

La période va comme un gant à la Pologne, qui récolte les fruits de son dynamisme économique et investit des sommes record dans son budget de la défense, un effort que les autres pays européens vont être appelés à faire avec l’arrivée au pouvoir à Washington de Donald Trump. Celui-ci avait déjà obtenu lors de son premier mandat que les Etats européens de l’OTAN augmentent leurs dépenses militaires ; il ne fait pas mystère de sa volonté de réitérer cette exigence dans son deuxième mandat, à un moment où le retour de la guerre sur le continent impose aux Européens de contribuer davantage à leur sécurité.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La présidence polonaise de l’Union européenne s’annonce très politique

Donald Tusk a cependant d’autres défis à affronter avec l’UE : le processus d’élargissement, en particulier à l’Ukraine et à la Moldavie, dans des conditions plus complexes que celles dont a bénéficié la Pologne il y a deux décennies ; la transition écologique, dont le pays, encore dépendant du charbon et soucieux de son électorat rural, est loin d’être à l’avant-garde ; l’immigration, sujet sur lequel Varsovie maintient une ligne dure, d’autant plus que la Biélorussie instrumentalise une filière de migrants illégaux sur la frontière polonaise. S’y ajoute un défi de politique intérieur, celui de l’élection présidentielle polonaise en mai, que la coalition de M. Tusk tient absolument à remporter pour mettre fin à une cohabitation paralysante avec le parti national-conservateur d’opposition.

Une autre ironie de l’histoire veut que la Pologne prenne cette présidence à un moment particulier où la France et l’Allemagne, les deux principaux moteurs de la construction européenne, partenaires de Varsovie dans le triangle de Weimar, sont affaiblies par leurs difficultés internes. M. Tusk est bien placé pour savoir qu’il ne pourra travailler utilement sans elles. Mais cette situation inédite offre aussi l’occasion historique à la Pologne de montrer sa maturité.

Le Monde

Réutiliser ce contenu
Share.
Exit mobile version