A l’ouverture de cette grand-messe pour le climat, un haut diplomate promet que « l’ère des conférences rhétoriques est révolue. Il faut maintenant des actes ». A l’extérieur, des manifestants dénoncent le « bla-bla-bla » des dirigeants qui parlent du sujet mais n’agissent pas assez. La scène paraît familière. Pourtant elle ne se déroule pas à la COP28, en 2023, mais en 1990, en Norvège, lors de l’une des premières conférences mondiales pour le climat, à Bergen. L’histoire est racontée par la correspondante du journal en Scandinavie, Françoise Nieto. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’est pas encore très connu, mais Le Monde commence timidement à prendre la mesure du problème… en avant-dernière page.
Il serait trompeur de raconter que le titre, né en décembre 1944, a toujours été aux premières loges des grandes questions environnementales. Au premier rapport sur les limites de la croissance, publié en 1972 – dit « rapport Meadows » –, le journal réserve un traitement minimal et sceptique. Dans un très court article, quelques lignes en page 18, titré « La fin du monde en 2100 ? », Jean-Louis Lavallard souligne que « ce rapport est loin de faire l’unanimité » et que « les méthodes utilisées sont critiquées, ainsi que les conclusions ». Les tribunes publiées dans la foulée par le quotidien s’inquiètent, dans leur quasi-totalité, du « catastrophisme » des « futurologues » du Club de Rome. Ces sujets ont rarement eu les honneurs des premières pages : centré sur les questions diplomatiques et de politique intérieure, Le Monde a d’abord réservé un strapontin aux problématiques écologiques – qu’il s’agisse d’enjeux internationaux ou de combats locaux.
L’un des pionniers de cette couverture, Marc Ambroise-Rendu, entré au journal en 1974, a raconté, quelques jours avant son décès, en juin, le souvenir de « l’immense liberté » que lui laissait la rédaction en chef. Mais il se trouvait surtout « un peu seul dans son coin ». Il partait en reportage à moto et dictait souvent ses articles par téléphone, à des sténos. Il se rappelait avoir « été percuté » par ce sujet, à l’époque où la France était encore un pays qui déployait massivement des autoroutes et des usines. Dans une série d’articles parus en 1983, il listait les menaces qui conduisent à « l’épuisement de la biosphère » et appelait à « la gestion de notre globe en bon père de famille » – des sujets rarement présents à la une du quotidien. Il sera suivi dans cette démarche par un autre journaliste, Roger Cans, qui témoignera, des années plus tard, de la difficulté à imposer ces sujets dans la rédaction. Les questions écologiques, réduites à la protection de la nature, sont alors considérées par une partie du journal comme une curiosité plus que comme un sujet sérieux. Roger Cans, mort en 2018, racontait notamment qu’il s’était vu refuser, dans les années 1980, une série sur l’agriculture biologique, jugée marginale et sans avenir…
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