La lèpre était présente en Amérique avant l’arrivée des colons européens. C’est ce que montre une vaste enquête de la revue Science, publiée le 29 mai, à laquelle ont participé plus de 50 chercheurs entre la France, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud. Elle apporte de nouveaux éclairages sur l’histoire précoloniale des maladies infectieuses sur ce continent, isolé du reste du monde pendant des milliers d’années.
Touchant 200 000 nouvelles personnes chaque année, la lèpre, qui se caractérise par des lésions cutanées et nerveuses, peut être induite par deux pathogènes. Le premier, Mycobacterium leprae, connu depuis le XIXe siècle, a bel et bien été introduit par les colons européens en Amérique et reste responsable de la majorité des cas sur le continent. Mais c’est au second, Mycobacterium lepromatosis, découvert seulement en 2008, au Mexique, que s’intéresse l’étude.
Jusqu’ici, les scientifiques n’avaient séquencé que dix génomes de cette espèce, chez des patients mexicains et chez des écureuils roux des îles Britanniques (Irlande, Angleterre, Ecosse), et donc identifié deux lignées. « Il était donc impossible de savoir si le pathogène avait été importé des Amériques vers l’Europe ou l’inverse », souligne Nicolas Rascovan, responsable de l’unité de paléogénomique microbienne à l’Institut Pasteur, qui a coordonné l’enquête.
Le scientifique fait une première découverte en 2017 : dans une base de données d’ADN ancien, il identifie la signature génétique du bacille chez un individu ayant vécu dans l’actuel Canada il y a mille trois cents ans. « C’était un point de départ assez significatif, parce que ça voulait dire que la lèpre était présente en Amérique avant l’arrivée des Européens, contrairement à ce que la communauté scientifique croyait, explique-t-il. Mais on manquait d’éléments de contexte. »
L’équipe s’attaque alors, à partir de 2020, à plus de 800 échantillons d’ADN anciens et modernes. Maria Lopopolo, première auteure de l’article, qui était à l’époque doctorante au sein du laboratoire, insiste pour étudier aussi des restes humains du sud du continent. « Lorsqu’elle m’a montré ses résultats, j’ai d’abord pensé qu’elle s’était trompée quelque part. Mais elle avait eu raison : elle venait de trouver un cas de lèpre en Argentine, il y a environ neuf cents ans. Tout d’un coup, on découvrait que ce n’était pas juste un pathogène du nord, mais continental », retrace le chercheur.
L’accord des communautés autochtones
Les deux lignées – canadienne et argentine – auraient partagé un ancêtre commun il y a deux mille ans, ce qui signifie que la dispersion de la bactérie aurait seulement pris quelques siècles. « C’est très rapide pour un continent de 10 000 kilomètres de long », pointe le scientifique. Au total, 26 ADN (3 anciens et 23 modernes) sur les quelque 800 étudiés comportaient le bacille de la lèpre et étaient exploitables. Ils ont permis d’identifier trois nouvelles lignées au sein de l’espèce Mycobacterium lepromatosis, en plus des deux déjà connues.
« Les travaux présentés dans cette étude sont remarquables », loue Emmanuelle Cambau, chercheuse au Centre national de référence des mycobactéries et de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux, également membre du groupe sur le contrôle de la lèpre au sein de l’Organisation mondiale de la santé. L’enquête ouvre, selon elle, des pistes de recherches dans d’autres régions : « Quelques cas de lèpre dus à Mycobacterium lepromatosis ont aussi été observés en Asie. Il reste à les étudier pour savoir à quelle branche elles appartiennent et identifier les ancêtres dont elles pourraient être issues. »
Fait rare dans la recherche sur l’ADN ancien : les communautés autochtones concernées, en Argentine et au Canada, ont donné leur consentement pour l’étude des restes humains et ont validé la version finale de l’article. « On est conscients que l’histoire de ces populations est terrible. Donc, c’est important pour nous de les faire participer à la construction d’un narratif respectueux et utile. On a des objectifs scientifiques mais aussi sociaux », justifie Nicolas Rascovan.
Dans un vocal WhatsApp envoyé depuis Las Grutas, une ville de la côte Atlantique de l’Argentine, Fernando Ledesma, membre de la communauté des Traun Kutral, se réjouit de l’interaction « très fluide » avec les scientifiques et du « va-et-vient de connaissances » qu’elle a permis. « Il est indispensable qu’on nous consulte quand nos territoires et nos espaces sacrés sont concernés. Et que l’on cesse de nous voir à travers une vision dépassée de la science, comme si nous en étions prisonniers au lieu d’être partie prenante », déclare-t-il.
Le Monde Guides d’achat
Aspirateurs robots
Les meilleurs aspirateurs robots
Lire
Pour l’autochtone, la présence du microbe dans la totalité du continent résonne avec la philosophie de la communauté mapuche, dont font partie les Traun Kutral, selon laquelle l’ensemble du vivant est interconnecté : « Ces similitudes entre tous les espaces territoriaux de la Mapu [la terre] ne nous surprennent pas tant que ça, cela nous semble même logique », conclut-il, avant de nous saluer dans sa langue natale.
Journées européennes de l’archéologie
A 3 km au sud d’Auxerre (Yonne), au lieu-dit Sainte Nitasse, une équipe de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) met actuellement au jour une villa gallo-romaine. Le chantier sera ouvert au public, dimanche 15 juin de 10 heures à 17 h 30, à l’occasion des Journées européennes de l’archéologie. Du 13 au 15 juin, celles-ci donneront l’occasion de découvrir de nombreux sites en cours de fouille, mais aussi des expositions, des ateliers, des démonstrations, des conférences. Ces Journées s’inscrivent dans un contexte particulier : le 12 juin, des archéologues prévoient de manifester à Paris pour s’opposer à une baisse de moyens et à un projet de loi menaçant la politique d’archéologie préventive.
Programme et réservations sur le site www.journees-archeologie.eu.