La difficulté que la France éprouve, comme le reste des pays occidentaux, à traiter sereinement la question migratoire rend d’autant plus impardonnable la faute sémantique commise par François Bayrou. Longuement interrogé sur LCI, lundi 28 janvier, le premier ministre a estimé que l’immigration pouvait provoquer le « sentiment d’une submersion », reprenant à son compte le vocabulaire de l’extrême droite.

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Féru de lettres classiques, soucieux de toujours employer le mot juste, l’ancien professeur ne peut être soupçonné d’avoir laissé sa langue fourcher. Quand, le lendemain de son intervention, les socialistes lui ont demandé de retirer cette expression malheureuse en menaçant de ne pas reprendre les négociations budgétaires qu’ils avaient suspendues, François Bayrou a refusé de s’exécuter, déniant à quiconque le droit de lui faire la leçon.

L’entêtement du premier ministre est d’autant plus incompréhensible que, dans sa longue intervention télévisée, le centriste a tenu un raisonnement équilibré, à rebours de l’univers mental que tente de propager l’extrême droite lorsqu’elle parle de « submersion migratoire » : il n’a pas, contrairement à elle, cherché à attiser les peurs face à un prétendu envahisseur ; il a exclu le recours au référendum que lui demandent avec insistance la droite et l’extrême droite ; il a refusé à son ministre de l’intérieur de porter une loi Retailleau, l’autorisant en revanche à durcir la circulaire Valls qui concerne les conditions de régularisation des sans-papiers. Il n’a pas voulu mettre à bas l’aide médicale d’Etat, il a refusé de remettre en question le droit du sol, sauf à Mayotte, où la situation est très spécifique, et il a défendu l’immigration du travail, là encore à rebours de la droite et de l’extrême droite, qui préconisent l’immigration zéro.

Question de la régulation de l’immigration

François Bayrou s’est défendu en plaidant qu’il ne peut gouverner sans être à l’écoute des préoccupations de ses compatriotes. Sur ce point, on ne peut lui donner tort : depuis des années, le Rassemblement national prospère sur la crainte du déclassement en liant les questions du travail, du pouvoir d’achat et de l’immigration. Même si les chiffres de l’Insee infirment l’idée que la population étrangère vivant en France soit en forte croissance (en 2023, elle représentait 5,6 millions de personnes, soit 8,2 % de la population totale, contre 6,5 % en 1975), les difficultés de l’intégration combinées à l’intensification des migrations mondiales pour cause de crises de tous ordres propulsent le sujet au rang des inquiétudes à traiter. Dans l’enquête Ipsos sur les fractures françaises, parue dans Le Monde en décembre 2024, on relève que 65 % des Français pensent qu’« il y a trop d’étrangers en France ». Un tiers sont des électeurs de gauche.

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Beaucoup de responsables politiques avant François Bayrou, et pas qu’à droite, ont considéré que, dans des contextes précis, l’immigration devait être davantage régulée. François Mitterrand parlait de « seuil de tolérance ». Le premier ministre aurait pu trouver ses propres mots pour qualifier la situation et, au passage, soutenir le pacte sur l’immigration et l’asile mis en place au niveau européen, qui correspond assez fidèlement à ce qu’il préconise. Au lieu de quoi, il a franchi la ligne rouge, sans doute parce que les négociations budgétaires avec la gauche sont tendues, parce que la droite ne cesse de lui demander des gages et parce qu’une non-censure du Rassemblement national tomberait à point nommé pour lui garantir un peu de stabilité. Mais ce que le Bayrou politicien espère gagner d’un côté, le Bayrou pacificateur le perd automatiquement de l’autre.

Le Monde

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