Les Européens ont subi deux électrochocs : l’attaque de l’Ukraine par la Russie et l’abandon de l’Ukraine par les Etats-Unis. Les voilà enfin réveillés de leur torpeur stratégique et revenus d’une commune imprudence qui leur avait fait oublier que les Etats, pour survivre, doivent d’abord connaître leurs ennemis et ne se reconnaître ensuite aucun protecteur. La décision prise par le général de Gaulle de doter la France d’une force de dissuasion française se fondait d’ailleurs sur ce postulat, comme le projet d’une défense européenne commune porté par la France depuis le traité de Maastricht de 1992.

Pour rattraper le temps perdu, il faudrait que la défense européenne, qui piétine depuis trois décennies, accomplisse maintenant des progrès à pas de géant. Déclarations et annonces se multiplient. N’ouvrons cependant pas trop de portes en même temps, si nous ne sommes pas en mesure d’en franchir le seuil.

On attend d’abord que les garanties de sécurité qu’il est proposé d’apporter à l’Ukraine prennent tournure : avec quels moyens, selon quelles modalités, sur quel type de mandat ? Il ne faudrait pas ensuite que la promesse des 800 milliards d’euros mobilisables dans l’Union européenne (UE) pour financer des projets d’armement se fracasse, en particulier en France, sur le mur des réalités budgétaires et de l’endettement. L’européanisation de notre dissuasion nucléaire constitue, enfin, un enjeu trop sérieux, trop existentiel pour tolérer l’improvisation.

Que la question de la dissuasion revienne au cœur du débat stratégique européen est une bonne chose ; qu’à Berlin, Vilnius ou Varsovie on envisage désormais que les forces de dissuasion françaises et britanniques puissent être une alternative au parapluie nucléaire américain montre assez l’inquiétude actuelle d’un risque de défaut des Etats-Unis dans l’OTAN. Longtemps, nos partenaires européens sont, en effet, restés rétifs à toute discussion sur la dissuasion avec la France. En trois ans, en raison des craintes suscitées par les gesticulations nucléaires russes dans le conflit ukrainien, les esprits ont donc plus évolué qu’en trente ans.

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