Fruit de l’histoire singulière de l’émancipation de l’Etat par rapport à l’Eglise catholique, la conception française de la laïcité est difficile à saisir pour de nombreux étrangers. Le pape, gardien suprême de la foi catholique, n’est évidemment pas le mieux placé pour en faire la promotion. Mais on pourrait attendre de lui qu’il fasse une lecture juste d’un principe et d’une législation conçus pour permettre la cohabitation de toutes les formes de croyance et d’incroyance, et qui sanctionne toute atteinte à la liberté de ne pas croire mais aussi à celle de croire.

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En choisissant la Corse pour son troisième voyage en France, François a confirmé sa préférence pour les « périphéries » et son rapport complexe avec notre pays. Après le Parlement européen à Strasbourg en 2014, il s’était rendu, en septembre 2023, « à Marseille mais pas en France », selon son expression. Dimanche 15 décembre, une semaine après les cérémonies de réouverture de Notre-Dame de Paris, auxquelles il a refusé de se rendre en dépit d’invitations de l’Elysée et du diocèse, le souverain pontife a passé la journée à Ajaccio à l’occasion d’un colloque sur « la religiosité populaire en Méditerranée ».

Le choix de ce thème et d’une île dont 90 % des habitants se disent catholiques, et où la pratique religieuse reste fervente et imbriquée dans la vie politique, a assuré le succès d’une visite marquée par une messe en plein air suivie par plus de 17 000 personnes. Mais elle était aussi destinée à porter un message de méfiance à l’égard du modèle laïque français. Plaidant en faveur d’une « saine laïcité », qui ne soit « ni statique ni figée, mais évolutive et dynamique », en bref souple « à la corse », le pape François a ainsi réitéré, sous une forme atténuée, la critique qu’il a déjà exprimée d’une laïcité française à la « coloration héritée des Lumières beaucoup trop forte » conduisant, selon lui, à présenter les religions « comme une sous-culture ».

Un vecteur de liberté

Que la laïcité soit un sujet de débat et fasse l’objet de caricatures, de dérives et d’instrumentalisation politique est une réalité ; que les représentants des religions puissent en avoir une vision critique est une évidence. Mais le pape François, en posant d’emblée le principe laïque comme un dogme figé, tend à conforter les tenants de la conception qu’il entend dénoncer, celle qui fait de la laïcité une arme antireligieuse et non un vecteur de liberté pour chacun, essentiel au vivre-ensemble.

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Plutôt que de paraître, à rebours de la Corse, relier la déchristianisation de la France à sa laïcité, le pape pourrait s’interroger sur la façon dont les populations, catholiques compris, perçoivent ses récents propos – en Belgique, le 29 septembre – assimilant les médecins pratiquant l’avortement à des « tueurs à gages » et essentialisant les femmes (« la femme est accueil fécond, soin, dévouement vital »), d’ailleurs toujours écartées des postes à responsabilités dans l’Eglise, ses silences sur les violences sexuelles dans l’Eglise, notamment le refus du Vatican de rendre publiques les archives sur l’abbé Pierre.

Hautement respectables et puissants, les messages humanistes du pape François, sa préférence pour les minorités et les laissés-pour-compte, sa sensibilité à la question des migrants, son allergie au nationalisme d’exclusion – exprimée de façon explicite en Corse – seraient portés avec plus de force si l’Eglise qu’il incarne savait mieux reconnaître ses propres errements, en tirer les enseignements, et vivre davantage avec son époque.

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Le Monde

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