Histoire d’une notion. L’usage veut que les idées nouvelles se polissent dans l’univers feutré des cercles universitaires. Certaines se forgent aussi dans la douleur et les luttes contre les persécutions. Avant d’être théorisée par des juristes, la notion d’« apartheid de genre » est née « du vécu d’oppression des femmes elles-mêmes, qui l’ont d’abord pensée en partant du constat de la banalité des violences qu’elles subissent dans leur vie quotidienne. C’est une notion vivante », explique l’avocate franco-iranienne Chirinne Ardakani.

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L’association du mot « apartheid » (« séparation », en afrikaans), utilisé pour désigner le régime de ségrégation raciale de l’Afrique du Sud de 1948 à 1991, avec la notion de « genre », désignant les rôles sociaux attribués aux sexes, apparaît dans les milieux militants féministes après la première prise de Kaboul par le régime islamiste des talibans en 1996.

En réponse à leur offensive contre les droits des femmes et des filles, l’expression est notamment utilisée en 1999 par la réfugiée afghane et défenseuse des droits des femmes Sima Wali (1951-2017), à l’époque présidente de l’ONG Refugee Women in Development. Son usage se diffuse plus largement à partir de 2021, quand les talibans reprennent le contrôle du pays et imposent des restrictions de plus en plus drastiques aux femmes et aux filles, visant à les éliminer de toute vie publique jusqu’à les cloîtrer dans des pièces sans fenêtre et leur interdire de parler et de chanter en public.

Etendre la définition juridique

En 2022, la formule est reprise en Iran au sein des organisations de défense des droits des femmes, lors du mouvement de révolte Femme, vie, liberté déclenché par la mort de Mahsa Amini, arrêtée pour une mèche de cheveux trop visible. Depuis 2023, une campagne de mobilisation lancée par le collectif End Gender Apartheid vise à faire reconnaître l’apartheid de genre en tant que crime contre l’humanité, comme c’est déjà le cas de l’apartheid ethnique. Elle est soutenue par les Prix Nobel de la paix iraniennes Shirin Ebadi (en 2003) et Narges Mohammadi (en 2023). Cette dernière s’est exprimée le 23 janvier en visioconférence devant le Sénat pour exhorter les parlementaires français à peser en faveur de cette reconnaissance.

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